Une balade au Salon du livre de Paris est toujours l’occasion agréable de voir comment se porte le monde de l’édition à un temps donné. C’est aussi une manière de comprendre les tendances du moment et de saisir ce qui plaît au public ou non. Quoi qu’il en soit, cette année encore, l’immense diversité de l’offre et la foule dense qui s’est déplacée dans ce gigantesque dédale de culture montrent que si crise il y a, le livre a tout de même de beaux jours devant lui…
Mais oui, tous les goûts sont dans la nature !… Pour autant, c’est en découvrant toutes ces allées qu’on se rend compte que si l’offre est gigantesque, si les genres sont tous représentés, le public ne se dirige pas avec le même engouement vers tous les stands…
Du monde ? Oui, on peut le dire, cette année encore, le Salon n’a pas été délaissé…
Salon du livre : Paris et les Régions, sœurs ennemies
Premier constat, si Paris est sans doute au centre de l’univers éditorial français – pour des raisons historiques bien sûr – les Régions sont aussi fortement représentées. On peut même y déceler une sorte d’activisme militant, montrant qu’en Province aussi, il y a des auteurs, des créateurs et des lecteurs. C’est une évidence, mais ça va mieux en le disant, et même en le prouvant. D’ailleurs, cette année, l’Outre-Mer était très bien représenté, ce qui est vivifiant.
Face à cette montée au créneau des Régions, Paris ne pouvait bien certainement pas rester insensible 😀 On ne voit que son stand !…
Salon du livre : les livres traditionnels ont le vent en poupe
Autre tendance, cette année, plutôt marquée : s’il existe toujours autant de beaux livres représentés avec art et talent, on trouve aussi un grand intérêt pour les religions d’une part – crise et changement de millénaire obligent ?… – et pour l’artisanat traditionnel du livre d’autre part. Intéressant lorsqu’on compare le nombre de visiteurs par rapport à ceux qui fréquentent les stands présentant le support numérique… Le public semble plus intéressé par l’ancien, surtout lorsque celui-ci semble particulièrement authentique. Il existe donc encore un marché pour le livre ancien et l’art, qui je pense ne sera jamais concurrencé par quoi que ce soit d’autre puisqu’il est très spécifique et profondément ancré dans notre culture.
Mieux, certains artisans – et artistes – n’hésitent pas à montrer leur savoir-faire au grand public. Comme ici un atelier de lithographie…
Autre point intéressant, une envie profonde pour le grand public de connaître les auteurs en chair et en os. Et de comprendre aussi comment certains thèmes ou certaines méthodes se développent. On sent un véritable engouement pour l’incarnation de l’écriture, pour analyser et partager comment l’alchimie se produit, pour appréhender les humains derrière tout cela. Ceci explique que le Salon soit aussi une machine à dédicaces avec une densité d’auteurs au mètre carré sans concurrence, et que les débats organisés soient bondés.
Au détour d’une allée, il est possible au Salon de croiser des mythes vivants en chair et en os, dans tous les genres littéraires ou livresques. Comme Zep, le père de Titeuf.
Mais il est utopique que de penser qu’on puisse faire une galerie de portraits exhaustive au Salon du livre, il y aurait 4500 auteurs à photographier ! 🙂
La BD, genre majeur du Salon du livre
En parlant de genres, la BD a toujours autant de succès. Surtout lorsque le public peut obtenir une dédicace personnalisée sous la forme d’un dessin unique, original et toujours exécuté avec une facilité déconcertante qui force vraiment l’admiration. Un petit salut amical à Thomas Plan et Briino, auteurs de Lavi Moun (parus chez Caraïbéditions), et à Marion Montaigne, auteure notamment de Riche, pourquoi pas toi ?
La BD est en effet un genre très représenté, qui parle beaucoup à l’imaginaire des lecteurs. Et pas seulement des jeunes lecteurs. Les stands les plus fréquentés étaient sans doute ceux des grands éditeurs de bandes dessinées, même sans dédicaces !
Un petit clin d’oeil aux tintinophiles (dont je suis…)
La percée très timide du numérique encore en 2014
Ceci dit, la littérature générale attire également beaucoup de monde. Le choix représenté au Salon est simplement ébouriffant. En fouillant un peu, on voit encore une prédilection pour les romans policiers et autres thrillers (en matière de titres et d’auteurs mis en valeur), avec par contre moins de romans historiques qu’il y a quelques années. Les essais politiques ou traitant de la crise sont également nombreux. Certains éditeurs tentent de remettre au goût du jour la littérature plus classique, ce qui montre qu’il existe encore de la demande dans ce créneau…
Concernant les nouveaux supports numériques, force est de constater cette année encore une fréquentation moindre de ces stands par le public. Les grands éditeurs de ce segment ne ménagent pourtant pas leurs efforts pour se rendre visibles. Je pense que ceci est significatif du marché actuel, où l’offre ne cesse de s’accroître mais où la demande du public mûrit plus lentement que l’innovation proposée par les éditeurs. D’ailleurs, quelques grandes maisons ont orienté cette année leur présentation vers le numérique exclusivement (comme Hatier ou Larousse, notamment) mais cela n’a pas eu l’air de déclencher un fol enthousiasme…
Pourtant, l’intérêt pour le multimédia, notamment la vidéo, est indéniable.
Mais peu nombreux sont les éditeurs qui ont osé ne montrer que du numérique. Le cœur de métier reste le papier, même lorsque certaines maisons font les deux : ils mettent le livre en valeur au détriment de l’écran. Un exemple fort, avec Louvre éditions, qui possède une très belle boutique en ligne proposant de l’impression à la demande et des DVD, mais qui a concentré tous ses efforts pour scénariser son offre papier au Salon…
La littérature à l’estomac
Pour achever cette (trop) courte balade – mais le Salon est tellement gigantesque qu’il faut bien faire des choix – un trait particulier et récent : la folie des livres de cuisine. Ils ont la vedette des guides pratiques et le genre s’est particulièrement renouvelé ces dernières années, sans doute aussi grâce à des émissions populaires issues de M6 ou de TF1. Le temps où les livres de cuisine étaient des guides à utiliser sur le plan de travail est révolu : ils sont devenus de beaux et parfois lourds et encombrants objets éditoriaux, inutilisables pour la plupart dans un contexte pratique et donc conçus pour être consultés comme des livres d’art.
Cette conversion de la cuisine pose sans doute beaucoup de questions d’un point de vue sociologique, comme si la cuisine répondait au besoin d’un véritable refuge vers des valeurs traditionnelles. La cuisine est-elle un art de crise ? Toujours est-il qu’elle est fortement mise en valeur au Salon, jusqu’à se séparer, même, de la problématique éditoriale le temps de quelques animations certes de haute volée culinaire. Pour preuve, un espace sponsorisé par une marque de cuisines… Vous reconnaîtrez notamment ici le grand chef Jean-François Piège prônant une petite révolution pâtissière à travers sa dernière création, le ChouchouTM… Indéniablement passionnant pour les gourmets, certes, mais plus impromptu, dans la forme, pour les lecteurs…
Le Salon du livre de Paris, à travers ses 1200 éditeurs, ses 4500 auteurs en dédicace, ses 500 rencontres et ses 45 pays représentés, n’a dès lors pas fini de fasciner ses quelques 190000 visiteurs !…
(c) Crédits photos Boris Foucaud