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Un genre littéraire inventé sur internet : l’uchronie

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Au XIXe siècle, on s’intéresse fortement aux récits historiques. Autant on crée l’utopie, qui est une réflexion sur un anti-futur – « u » étant un préfixe grec négatif – autant on crée sur le même modèle l’uchronie, un « non-temps », un temps qui n’existe pas. En ce siècle, on découvre qu’il n’y a pas de morale dans l’art. De la même manière, l’histoire perd définitivement tout aspect édifiant voire moralisateur, elle n’est plus taboue. Il est donc possible de la réécrire d’une manière fictionnelle. L’uchronie est donc la science-fiction du passé. Elle raconte ce qui n’a pas eu lieu mais qui aurait pu se passer. Or, internet s’est emparé de l’uchronie pour en faire une forme littéraire inédite…

Il n’existe pas beaucoup de genres littéraires spécifiques sur internet, conçus pour s’appuyer sur les technologies numériques. L’uchronie fut un genre mineur issu de la science-fiction. Le premier récit uchronique est Napoléon et la conquête du monde et date de 1832. Il décrit ce qui se serait passé si Napoléon avait conquis Moscou. Plus loin, certains auteurs ont approfondi le type de narration uchronique avec bonheur, comme Philippe K. Dick avec Le Maître du Haut-Château en 1962.

L’uchronie : l’Histoire réécrite par l’écriture d’une histoire

De fait, ce qui est intéressant dans l’uchronie, c’est la manière dont fonctionnent les hypothèses historiques, d’une manière binaire et conditionnelle, comme dans la programmation informatique.

Si tel fait s’est passé, alors voici ce qui en découle. Si on considère l’Histoire – et l’histoire – comme une succession de faits, alors à chaque fait il peut exister une alternative. C’est pourquoi dans les jeux vidéos, chaque partie est unique car une décision en entraîne une multitude d’autres. On est là face à un arbre de décision.

Arbre de décision, l'arme de l'uchronie

Ainsi, l’uchronie est aujourd’hui entrée dans les mœurs certainement grâce aux jeux vidéos. Les simulations historiques telles que Civilization ou même les Sims fonctionnent parfaitement selon des principes d’arbres de décision et poussent au bout cette logique.

C’est ainsi qu’une compagnie suédoise, Paradox Development Studio, a conçu des séries de jeux de grande stratégie comme Europa Universalis ou Victoria où le joueur doit gérer des états dans une période donnée. Et si les décisions sont les bonnes, ces états s’étendent d’une manière différente que dans l’Histoire réelle, c’est-à-dire d’une manière uchronique. C’est parce que les variables sont très nombreuses que l’évolution historique diffère de la réalité, selon les décisions prises par le joueur.

L’uchronie : du jeu vidéo au livre

Il existe une revue tenue par la communauté des joueurs Paradox, AARLander, où l’Histoire est réécrite de la manière la plus cohérente et littéraire possible. Chacun y expose ses desseins et ce qui se produit dans le jeu, selon la manière dont le moteur algorithmique gère les décisions du joueur. Ces jeux sont donc bel et bien fondés sur des schémas narratifs !

Se fondant sur ce type de jeu, des forums se sont créés. Un narrateur propose une histoire, et les lecteurs donnent leur point de vue au fur et à mesure tout en devenant des auteurs à part entière. On en arrive là à une véritable écriture collaborative exigeant des compétences littéraires, mais aussi historiques et scientifiques. L’objectif est de créer un récit sur plusieurs siècles et d’approfondir le monde le plus possible. Ceci s’appelle de l’Alternative History. Lorsque l’histoire et l’Histoire diffèrent, on arrive à un point de divergence. L’objectif est donc de se pencher sur ces points de divergence et de les approfondir avec un regard quasi-scientifique. Ce système peut d’ailleurs donner le vertige, car les paramètres sont tellement nombreux que le monde tel qu’il est devenu apparaît sur le fil du rasoir, soumis à l’effet papillon et à la théorie du chaos. Ainsi, la théorie du multivers postule que les points de divergence surviennent à chaque instant, créant potentiellement autant d’univers parallèles. Et si les dinosaures n’étaient pas disparus ? Et si Hitler avait échoué en 1933 ?…

Dans le monde de l’Alternative History, les narrations uchroniques sont donc très élaborées, d’autant que leur crédibilité est soumise à une évaluation de la communauté. L’intérêt de cette démarche n’est pas de réécrire l’histoire, mais bien de réfléchir sur elle. Comment naît une dictature ? Comment naît le colonialisme ? Peut-on maîtriser les tenants et aboutissants de l’impérialisme ? Un pays peut-il s’implanter durablement dans un autre territoire, et à quel prix ?…

L’uchronie, une écriture littéraire collaborative

Les communautés uchroniques s’appuient sur des forums, mais aussi sur quantité de documents iconographiques et géographiques. Et on finit par en créer des ouvrages dérivés, strictement littéraires.

On constate bien ici que ce renouveau de la littérature uchronique n’a été prévu ni par le monde éditorial, ni par un projet universitaire. C’est un phénomène spontané qui a tiré parti des possibilités collaboratives offertes par le web 2.0 et son interactivité communautaire.

En France, ce sont les projets Walrus et le cycle des Noénautes de Pouhiou qui défrichent le terrain.

En savoir plus sur l’uchronie

Bibliographie

  • Éric B. Henriet (préf. Emmanuel Carrère), L’Uchronie, Paris, Klincksieck, coll. « 50 questions » (no 46),‎ 2009, 262 p. (ISBN 978-2-2520-3710-2 et 2252037105, OCLC 470756889 ).
  • Éric B. Henriet, L’histoire revisitée : panorama de l’uchronie sous toutes ses formes, Amiens, Les Belles Lettres / Encrage, coll. « Interface »,‎ 2004, 416 p. (ISBN 978-2-9115-7642-3 et 9782251741239, OCLC 56966285 ) nouvelle édition revue et augmentée, 416 p., (ISBN 2-251-74123-2) (Les Belles Lettres) / (ISBN 2-911576-42-X) (Encrage).
  • Emmanuel Carrère, Le détroit de Behring : introduction à l’uchronie : essai, Paris, P.O.L,‎ 1986 (ISBN 978-2-8674-4070-0, OCLC 17626577 )
  • (es) Julian Pelegrin, La Historia alternativa como herramienta didáctica: una revisión historiográfica‘, publié dans Proyecto Clío, n. 36, 2010 (es)Journal en ligne[PDF]  : sur les possibilités didactiques pour l’enseignement de l’Histoire.
  • Jean-Pierre Chemla, L’autre histoire, Paris, Edilivre-Éd. Aparis, coll. « Classique »,‎ 2008, 273 p. (ISBN 978-2-8121-0628-6, OCLC 470741695 )
  • Gérard Klein, préface à William Gibson et Bruce Sterling (trad. Bernard Sigaud), La machine à différences, Paris, Robert Laffont, coll. « Ailleurs et demain »,‎ 1996, 445 p. (ISBN 978-2-2210-8249-2, OCLC 416060993 ),  éd. Le Livre de Poche, 2001.
  • Luc Mary, Et si JFK n’avait pas été assassiné en 1963 ? : L’histoire mondiale revue et corrigée en 20 uchronies, La Varenne-Saint-Hillaire, Opportun,‎ 2013, 392 p. (ISBN 978-2-3607-5268-3, OCLC 866572281 )

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