Autant il existe des lectures d’été légères, idéales pour la plage… Autant il existe des lectures graves, dont l’univers romanesque lourd et complexe laisse des traces, même longtemps après. Meurtres pour rédemption, de Karine Giebel, est de ces livres.
Marianne, une jeune femme qui, après un épisode ultra-violent survenu dans son adolescence, a été condamnée à perpétuité, tente de survivre à l’enfer de la vie carcérale. Immergée dans la férocité des codétenues et de certaines gardiennes et en l’absence de tout avenir, le pain quotidien de Marianne se borne à une forme de survie à peine humaine. Surtout, ce petit bout de femme inspire la crainte. Sa détermination est sans borne, tout comme ses techniques de combat.
Pourtant, le rêve, la drogue, une liaison sur le mode de l’amour-vache avec un responsable carcéral et quelques amitiés animales et indéfectibles représentent un espoir insensé.
Puis, un beau jour, on offre une échappatoire à Marianne. Hors des murs. Sera-t-elle capable de faire ce qu’on lui demande pour recouvrer sa liberté ?
On pourrait croire à une histoire banale, reprenant un thème bien connu à la manière de Nikita, le film à succès de 1990 de Luc Besson. Oui, raconté à plat, l’argument y fait penser inévitablement. Mais dans ce thriller, la psychologie remplace le spectacle inutile. Le personnage de Marianne, passant initialement pour un psychopathe inhumain, devient extrêmement attachant grâce à son sens des valeurs et à sa pureté animale.
Son destin est finalement narré sur un mode assez réaliste pour que l’on rentre dans cet univers très dur. L’espoir et le désespoir sont très bien brossés, de manière communicative. Tout comme l’animalité, la bêtise, la cruauté et la noblesse.
La force de ce roman est de s’inscrire dans le paradoxe et la dualité, Marianne tentant la synthèse entre le pire et le meilleur chez l’homme – ou chez la femme.
Cette œuvre est par ailleurs très bien documentée sur la réalité de l’univers carcéral, diamétralement opposé aux essentielles aspirations d’une femme écorchée vive. L’interaction entre les deux univers, la prison et l’imaginaire d’une jeune fille broyée par le système, est bien menée. La peinture de la souffrance et de la vie qui cherche toujours à triompher, est un point très fort de ce roman où il est impossible de s’ennuyer.
Les scènes de violence s’accumulent de manière trop systématique. Afin de défendre la thèse centrale de cette œuvre qui montre que la rédemption provient de l’intérieur, et non du système qui a plutôt tendance à pourrir même les plus endurcis, et pour prouver la pureté de Marianne qui résiste contre vents et marées, on frôle parfois la caricature. Dans certains passages, l’humiliation et la folie vont très loin. On comprendrait que ceci constitue l’acmé du roman, mais la récurrence de ces moments est un peu trop exagérée, parfois inutile : l’argument n’en a pas véritablement besoin, et le personnage de Marianne n’en sort ni grandi, ni pire.
Bref, trop d’outrance parfois pour une si petite héroïne.
Meurtres pour rédemption mérite toutefois d’être lu. Pour l’atmosphère de désagrégation qui est distillée au fur et à mesure que l’intrigue se déroule. Pour l’incertitude qui voile l’histoire et la destinée de Marianne jusqu’à la fin. Pour la lecture sociale sans concession qui est ici narrée dans un style fluide et jamais lourd. Et pour le personnage de Marianne, aussi attachant que monstrueux, aussi pur que corrompu, finalement dans la droite tradition de la femme fatale romanesque et de la sainte pervertie par le dogme. Une écriture moderne d’une Hélène de Troie.
Karine Giebel, Meurtres pour rédemption, 2010, Fleuve noir.