Harry Potter, c’est ce petit sorcier de la fameuse saga de J.-K. Rowling qui a rendu son auteur milliardaire. Bien sûr, ceci ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais presque ! Ce succès planétaire est un phénomène très rare dans le monde de l’édition. Globalement, les 7 tomes ont été vendus à 420 millions d’exemplaires dans 140 pays à travers 73 traductions ! Voici quelques éléments expliquant les raisons de cette incroyable réussite.
Quels sont les livres les plus vendus dans le monde ?
Eh oui ! Harry Potter est la troisième plus grande vente mondiale de tous les temps. Il faut dire que la machine commerciale est bien huilée. Dès le troisième tome, la Warner a sorti les adaptations cinématographiques quasiment en même temps. Dès le quatrième tome, une stratégie marketing événementielle inédite pour du livre a été mise en place avec force, générant 60% des ventes les cinq premiers jours suivant la parution de chaque opus. Autre fait atypique, en France comme dans d’autres pays, jamais il n’a été vendu autant de titres en langue originale, sachant que ceux-ci paraissent avant la version traduite. Enfin, il est rare que des pavés aussi épais soient lus par un jeune lectorat.
Mais pourquoi Harry Potter a-t-il autant défrayé la chronique ? Bien sûr, le marketing y a contribué, mais ce n’est pas la seule raison. Plus profondément, Harry Potter représente autre chose de très universel…
Il ne s’agit pas seulement de romans fantastiques confinant à de l’heroic fantasy. Harry Potter, ce sont aussi des romans d’apprentissage. Une quête initiatique, un secret très bien caché jusqu’au 7e tome, l’évolution de plusieurs personnages attachants au fil du temps qui suit celle du jeune lecteur, voilà qui est assez inédit. Mais on trouvait déjà, dans la littérature de jeunesse britannique, ce genre de roman initiatique notamment sous la plume de l’auteure à succès Enid Blyton, mère du fameux Club des Cinq. Les Anglais raffolent de ces personnages enfantins ou adolescents évoluant au milieu d’intrigues policières ou magiques, et le monde anglais scolaire ou universitaire fait partie des mythes forts. Charles Hamilton a également écrit une saga mettant en scène le personnage Billy Bunter dans cette optique, tout comme l’auteur Thomas Hughes. Qu’on pense aussi au Cercle des poètes disparus par exemple : la littérature victorienne abonde de romans initiatiques se déroulant dans le huis clos d’une école, ce qui a laissé des traces jusqu’à aujourd’hui.
Ainsi, l’une des composantes d’Harry Potter est l’adaptabilité du héros. Harry Potter doit toujours enfreindre les règles pour arriver à ses fins. Or, il est certain que ce petit personnage possède des pouvoirs immenses, mais il reste malgré tout un antihéros. Il n’est ni beau, ni riche, ni adulé et sa vie sentimentale n’est pas des plus réjouissantes. Dans ce cadre, il représente l’adolescent moyen avec ses failles et ses faiblesses, ce qui le rend attachant : n’importe quel ado peut s’identifier à lui, n’importe quel adulte peut se reconnaître jeune dans ces traits.
Par un schéma narratif fondamental qui se reproduit lors de la plupart des opus, l’affaire se dénoue à la fin de l’année scolaire et Harry tire leçon de ses actes auprès de son mentor Dumbledore. Ce n’est qu’à la fin de la saga que l’intrigue se déroule hors des murs de l’école, même si la scène finale y retourne. Cette initiation est donc symbolique et met le savoir et l’édification au centre des choses. Pour autant, ce savoir n’est pas académique et Harry Potter démontre que la ruse, l’intelligence et la transgression sont des composantes aussi importantes que le savoir lui-même. Harry Potter est un héros révolté. Ceci dit, la saga finit sur un Harry Potter ayant des responsabilités d’adulte, puisque ses choix et agissements rejailliront sur le monde entier.
Harry Potter sera confronté à une tragédie shakespearienne, devant accepter de mourir pour sauver le monde, et il subira là l’ultime initiation puisqu’il reviendra de la mort pour accomplir son destin jusqu’au bout. Il sera donc passé de l’enfance à la plus inaccessible des sagesses, alors qu’il n’était qu’un gamin (presque) comme tous les autres, tout en sauvant l’univers du mal et en acquérant, par là même, la stature messianique d’un sauveur universel reconnu comme tel par ses pairs. C’est ici également que le jeu d’identification avec ce héros est profond, car il peut convenir à tous les lecteurs. On peut tous un jour ou l’autre sauver le monde, ou du moins le rendre meilleur… Harry Potter possède bel et bien un aspect utopique qui résonne avec toutes les civilisations.
Voldemort est le double sombre de Potter, et les deux personnages forment une dyade. Autant Potter est un gamin (presque) banal, autant Voldemort est à l’inverse un personnage incarnant paradoxalement la mort tout en étant en quête d’immortalité. Comme la mort elle-même. C’est par capillarité que Voldemort existe, se régénérant à chaque tome, étant partout en filigrane sans être là. On apprend au fur et à mesure que son âme habite plusieurs objets cachés, lui assurant cette immortalité. Ce qu’on apprend sur le tard, c’est que Potter est lui-même l’un de ces objets ! Ce lien fort et indéfectible rappelle la quête naturaliste de Zola, ou le fatum de la tragédie antique : comment pouvoir lutter contre sa nature la plus profonde, celle qui nous constitue ? Harry Potter est donc également en quête de lui-même, de ce qu’il est sans le savoir. De fait, c’est cette zone d’ombre, ce silence qui rend à Dumbledore toute son importance : c’est, avec Severus Rogue, le seul à savoir la vérité à ce sujet et la quête de Potter est totalement orientée par ce mentor. Ce qui est troublant et ambigu, c’est donc que Potter n’est pas véritablement mu par son libre arbitre, et qu’il est le jouet d’une destinée qui le dépasse très largement. Cet aspect tragique contribue donc fortement à l’universalité de la saga.
Car le thème sous-jacent le plus récurrent est donc bien la mort. La quête d’Harry Potter semble de pousser la transgression jusqu’au bout, au-delà des lois universelles, en combattant la mort omniprésente incarnée par Voldemort. Tuer la mort est un fantasme fondamental qui transparaît notamment dans la plupart des contes, qui confinent eux aussi à l’universalité. C’est en cela qu’Harry Potter fait preuve d’un certain mysticisme qui s’affranchit pourtant de toute symbolique religieuse. Dans cet univers, il existe un système binaire Bien/Mal mais ni dieu, ni démon. Il y a bien l’inscription sur la tombe des parents d’Harry, tome 7, qui est issue des Corinthiens, « le dernier ennemi qui sera détruit, c’est la mort ». Mais d’une part, ceci résume la quête initiatique de la saga, et d’autre part, l’intrigue se situe dans une Angleterre mythique, elle-même profondément chrétienne.
Pour autant, et c’est là l’une des grandes réussites de J.-K. Rowling, aucun personnage n’est justement binaire. Chacun est totalement ambigu. Potter est un antihéros et possède une face extrêmement sombre qui se dévoile progressivement, puisque c’est là que se situe le nœud de l’intrigue. Son mentor Dumbledore s’avère de plus en plus trouble, ce qui le rend de moins en moins fiable au fur et à mesure que le temps passe. Les camarades d’Harry sont parfois poussés à abandonner ce dernier à son sort. La jolie Hermione ne tombe jamais amoureuse de lui. Ron est un grand bêta qui sera à la limite de la trahison à la fin, par jalousie. Le méchant Severus Rogue s’avère un allié fondamental (et pour cause !…) tandis que certains professeurs s’adonnent à la magie noire. Les ennemis d’hier deviennent les alliés d’aujourd’hui et vice-versa. Cette complexité fait partie intégrante de la quête initiatique, car Harry Potter ne peut en définitive se fier ni aux autres, ni à lui-même. Ce sont les qualités de courage et d’intuition qui dominent, avant la force physique ou la raison. Harry Potter obéit bel et bien au principe shakespearien du sois fidèle à toi-même avant tout.
Les valeurs prônées sont donc celles de la tolérance d’un côté, et du refus de l’autorité injustifiée de l’autre. La bataille contre le dogme fait partie intégrante d’Harry Potter, même si l’univers est ici pétri de traditions secrètes, ce qui est paradoxal – mais fortement constitutif de la civilisation anglaise fondée sur des strates plus ou moins élitistes et fermées.
Harry Potter renferme ainsi un message politique… que nous visiterons dans le dernier article consacré à cette saga absolument passionnante. À très vite ! 🙂
La rhétorique ou l’art d’un style persuasif