Savez-vous que la plus grosse difficulté, lorsqu’on achète des livres sur internet, est d’être conseillé ? On sait fort bien qu’à la ville, ce sont principalement les libraires qui jouent ce rôle auprès du lecteur, ainsi que la presse. Mais sur internet, c’est beaucoup plus difficile. C’est ici que les blogs littéraires entrent en action, ce qui est un fait relativement récent.
Car ce qui fonctionne bien avec le libraire, c’est la proximité. Plus encore, c’est la confiance qu’on peut tisser avec lui au fil du temps. Le libraire n’est pas un commerçant lambda, puisqu’il représente au sein d’un quartier une véritable ressource culturelle reconnue comme telle. Mais à l’heure d’internet et d’Amazon, pour ne pas le nommer, les libraires souffrent. Un lecteur a en effet le choix, sans se déplacer de chez lui, d’un catalogue de milliers d’ouvrages disponibles en 24 heures à bas prix. Or, le libraire ne peut en rien concurrencer cette offre. Au total, ces deux dernières années, au moins quatre librairies ont fermé à Boulogne-Billancourt (ville de 117000 habitants du 92), ce qui est représentatif de ce qui se passe en ce moment en France. Pourtant, notre pays la France s’enorgueillissait de posséder le plus dense réseau de librairies par habitant au monde. Et puis la loi Lang sur le prix unique du livre favorise cette activité commerciale qui, du même coup, devient une pratique culturelle.
Mais en 2014, ce sont 80 librairies qui vont fermer sur le territoire alors que le livre reste toujours le cadeau le plus offert. Cherchez l’erreur !… Virgin, Chapitre, Mona Lisait, bientôt la FNAC… Pierre Assouline, dans La République des livres, analyse ceci en termes d’erreur stratégique majeure de la part de ces librairies, à cause de modèles économiques inadaptés :
Il n’est même plus sûr que le fameux « contact physique », alchimie d’un toucher, d’une voix, d’un regard, d’un accueil, d’une bienveillance, d’une expérience, qui lie un libraire à ses fidèles clients, ne soit pas en passe d’être obsolète tant la relation permanente à l’écran a modifié les habitudes du lecteur. A court terme, les librairies indépendantes ont bien raison de tout miser sur cette relation personnelle, renforcée par une animation permanente de leur lieu (conférences, débats, dédicaces, rencontres etc). Mais pour combien de temps encore ?
La fermeture des librairies est-elle corrélée à la baisse des ventes de livres ? En fait, ce n’est pas certain : les lecteurs ont à disposition une cohorte de librairies en ligne et leur mode de consommation en pleine évolution fait qu’ils n’hésitent plus à franchir le pas. Dans ce jeu économique, seules les petites librairies indépendantes de quartiers pourraient tirer leur épingle du jeu par la proximité qu’elles offrent. Pour le reste, internet va être de plus en plus au centre de la diffusion du livre. Et donc, nous en revenons ici à cette question : sur internet, comment le lecteur est-il conseillé dans ses choix ?
Bien évidemment, les géants du catalogue en ligne comme Amazon, FNAC, Decitre ou Priceminister ont bien tenté de mettre en place un système de prescription avec des notes et des avis d’autres lecteurs, par exemple, ou encore la mise en avant des meilleures ventes. Mais il est hors de question pour un lecteur que de tisser cette relation intime de confiance et de proximité qui existait avec son libraire, avec un catalogue issu d’un géant virtuel.
Sur la Toile, ce sont les blogs littéraires qui semblent revêtir aujourd’hui cette salutaire mission de conseil et de prescription. Un blogueur, c’est avant tout un passionné qui s’adresse à d’autres passionnés. C’est un humain de chair et d’os qui peut livrer une certaine expertise et qui, au fur et à mesure que le temps passe, finit par tisser un lien fort avec une communauté. Ainsi, dans le monde du web 2.0 (c’est-à-dire du web interactif), n’importe qui peut finir par devenir expert à partir du moment où il possède une communauté de lecteurs qui a aimé un ton, un style, un point de vue, une vision du monde.
En ce XXIe siècle, ce sont ainsi les blogs littéraires qui deviennent les principaux prescripteurs concernant l’achat des livres, bien devant les libraires. Pour une fois, le web devient moins virtuel que le monde réel qui existe là, dans votre quartier, en bas de chez vous !…
Les blogs littéraires deviennent donc complémentaires des libraires indépendants. Cette place économiquement stratégique dans la chaîne du livre est vraiment récente, mais elle semble s’accentuer au fil du temps. Ainsi, qui sait comment les géants du catalogue en ligne vont réagir dans les prochaines années face à cette nébuleuse de libres-penseurs indépendants ? Sauront-ils s’appuyer dessus, ou arriveront-ils à trouver une parade médiatique pour s’affirmer comme les seuls conseillers de lecteurs licites afin de pousser les ventes qui conviennent avec stratégie ? Une chose est sûre, de ce point de vue, les années qui viennent risquent d’être passionnantes. Et encore, nous n’avons pas abordé ici la problématique des réseaux sociaux !… Suite donc au prochain épisode 😉