Si on s’en tient aux définitions usuelles de la narration — en gros, il s’agit d’un récit détaillé, même si cette définition est très très sommaire — on peut penser que la musique, qui n’utilise pas de mot, est inapte à créer un récit détaillé. Pourtant, en narratologie, on ne s’est pas arrêté aux évidences. De fait, oui, la musique peut créer une narration…
Il existe un point commun entre la musique et le texte, que l’on ne retrouve ni dans la peinture, ni dans la sculpture : celle d’une structure linéaire. La musique a un début, un milieu et une fin, on l’appréhende dans une temporalité, à l’inverse par exemple d’une image ou d’un tableau.
De fait, nous rappelons que l’humain n’est pas avant tout un être de logique, mais surtout un être de fables (voir Jean Molino et Raphaël Lafhail-Molino, Homo Fabulator, théorie et analyse du récit, Actes SUd). De ce fait, l’homme aime à lier les objets d’une chaîne linéaire — même non linguistique — en y plaquant une conduite narrative. Ainsi, et ceci est corroboré par des études de psychologie cognitive de la musique, beaucoup d’auditeurs ont tendance à « narrativiser » la musique (voir notamment « Rythm, musical narrative, and origins of human communication », Trevarthen, 1999-2000 et « Narrative in music and interaction », Imberty-Gratier, 2008 in Musicae Scientiae.)
Leonard Meyer, dans Émotion et signification en musique, 1956, montre qu’« au cours du déroulement musical, des événements sonores se succèdent de telle sorte qu’à chaque instant, l’auditeur peut se demander : et que vais-je entendre maintenant ? Nous ne sommes satisfaits que lorsque les attentes créées par les répétitions, les suspensions, les tensions musicales trouvent enfin leurs conclusions dans des points de repos, provisoires ou définitifs, et procurent un sentiment de clôture. »
Bien sûr, une œuvre musicale ne peut guère raconter une histoire au sens verbal du terme. Le langage musical ne fonctionne pas selon la double articulation de la langue, et ne sécrète donc pas de sens linguistique. Pour autant, il est possible de considérer la musique comme un protorécit.
Le discours musical s’inscrit dans le temps, et possède donc une organisation syntaxique propre. Rythmes, accents, tons, longueurs, syllabes font partie intégrante de la musique (mousikê en grec désigne la poésie lyrique). Dès lors, la musique peut très bien imiter la courbe intonative d’un récit sans paroles, un récit « en creux ».
Il n’est donc pas infondé de croire qu’il existe une sémantique de la musique : la musique est expressive, elle donne à voir et à émouvoir. Ainsi, selon Ole Külh, Musical Semantics, Berne, Peter Lang, 2007, l’écoute attentive — analytique — de la musique consiste à donner une cohérence à une expérience, et un sens à une série d’événements sonores qui s’inscrivent dans une temporalité. Comme un lecteur peut le faire d’un texte. Ou un historien d’une série d’événements historiques.
Ce sujet étant très complexe, il est possible de le conclure très provisoirement en citant Eoro Tarasti (Sémiotique musicale, 1996, Presses universitaires de Limoges) : « par narrativité en musique, nous entendons la narrativité “structurelle” selon laquelle toute pièce musicale qui se déploie dans le temps, et qui transforme quelque chose en autre chose, doit être considérée comme narrative ».
Et si vous essayiez d’écouter des histoires avec une musique particulièrement expressive et méconnue, le jazz-fusion ?
Paranormal Activity (film) : une narration démoniaque