Le fantastique, on croit que c’est un genre ou un courant, alors que c’est un registre. Il a nourri la littérature autant que le cinéma, tout le monde le connaît, mais peu le reconnaissent en définitive. Pourquoi ? Parce qu’il a mauvaise réputation. Et pourtant… le fantastique a donné lieu aux plus grands courants de l’histoire littéraire et cinématographique. L’idée qu’on se fait du roman de gare ou film de série B est éculée. Le fantastique, c’est véritablement une direction à explorer lorsque l’on veut comprendre plus profondément ce qui, aujourd’hui, est particulièrement caché par les tabous et refusé en bloc par la société.
Films de genre, de quoi diable s’agit-il ?…
Les films de genre sont définis ainsi en ce qu’ils ne sont pas choisis par le public pour leur auteur, leur réalisateur ou leurs acteurs, mais pour le genre auxquels ils appartiennent. Ici, nous parlerons des films fantastiques, au sens le plus large du terme : films de science fiction, d’horreur, d’héroïc fantasy, de politique-fiction, etc. Bref, des films qui mettent en avant un imaginaire fantastique.
Le fantastique, quesaco ?…
C’est un registre à l’origine littéraire qui voit une insertion de l’irréel dans le réel. Plus précisément, c’est un registre où le surnaturel prend le pas sur le réel, de sorte que le lecteur ou le spectateur ne savent plus vraiment où se situe la frontière entre les deux. C’est un registre transversal, puisqu’il nourrit plusieurs genres. Le Silence des agneaux, c’est un film fantastique en ce que Lecter n’est pas un personnage réaliste, malgré les apparences. Tout est justement dans ce « malgré les apparences ». C’est ce qui différencie le fantastique du merveilleux où, dans le cadre de ce dernier, le surnaturel est écrit comme tel. Le fantastique a souvent le souci de la vraisemblance – autre concept familier aux participants des ateliers PluMe.
L’objectif du fantastique est souvent de provoquer du refus, de la peur, du rejet, de l’angoisse. Comme tel, c’est donc une critique par la négative du réel. Ce que Freud appelait l’inquiétante étrangeté. Ce qui est caché devient manifeste, ce qui est tabou prend la lumière. Cette transgression des interdits, cette mise en relief des valeurs que l’on ne veut pas voir, est tout le suc du fantastique. C’est aussi la raison pour laquelle le fantastique est souvent une réflexion approfondie – car à vivre dans la chair – sur le Mal. Souffrance, folie, échec, transgression : ceci est un beau contre-courant à l’optimisme des Lumières, et c’est la raison pour laquelle le fantastique était tellement présent dans le XIXe littéraire français. C’est aussi pourquoi il annonce, dans une certaine mesure, l’outrance et l’innommable ayant eu lieu en 39-45.
Le fantastique n’est donc pas un sous-registre donnant lieu à des romans de gare ou à des films de série B. Cette vision des choses qui a souvent eu cours dans les milieux élitistes est totalement éculée. D’ailleurs, en université, le fantastique a acquis toutes ses lettres de noblesse, notamment sous la plume du grand linguiste sémioticien Tzvetan Todorov. De plus, l’étude du fantastique permet de cerner précisément les frustrations d’un temps, y compris sexuelles ou fantasmatiques. C’est aussi la raison pour laquelle il est utilisé par nombre d’auteurs pour contourner la censure. Transposer la réalité dans un horizon fantastique, c’est se permettre d’instiguer de la critique politique ou revendiquer le droit à la création hors de la morale.
Dès lors, le fantastique provoque des émotions très riches et fortes – peur, terreur, angoisse, dégoût, refus – mais induit donc, de manière sous-jacente, une exigence d’interprétation. Il n’y a pas d’œuvre moins gratuite qu’une œuvre fantastique. C’est ici que l’auteur manipule le mieux le lecteur, le conditionne pour le faire pénétrer dans un monde qui, de toute manière, ne sera ni le plus agréable, ni le plus consensuel. Au contraire, l’amener à transgresser ses tabous ou ses interdits est aussi une manière de le mettre en face du monde et de l’humain. Le fantastique est le lieu où les résonances avec l’imaginaire – et donc les profondeurs du lecteur ou du spectateur – sont les plus fortes. Ainsi, l’allégorie, la métaphore, le symbole sont-ils des moyens souvent extrêmement puissants pour faire passer un message à portée politique ou humaine essentielle.
Dès lors, étudier le fantastique, c’est véritablement s’immerger dans l’esprit caché d’un temps.
Jean-Pierre Andrevon, c’est un journaliste / écrivain / parolier / critique / touche-à-tout absolument déculpabilisé qui a écrit, notamment, plus de 160 ouvrages fantastiques, de science-fiction, policiers, de littérature de jeunesse. Plusieurs de ses textes ont été adaptés pour l’écran. C’est un spécialiste reconnu des films de genre.
On sait bien que la littérature et le cinéma sont intimement liés. Dans les deux arts, il y a une histoire, des personnages, une intrigue… Les participants à l’atelier PluMe sont devenus incollables sur les schémas narratifs et ils savent qu’une histoire se bâtit avec méthode, ce qui leur permet aujourd’hui de lire un roman ou de regarder un film avec un œil aujourd’hui un peu différent 😉 Sans doute un type de cinéma particulier, le « cinéma de genre », est-il encore plus ancré dans ces principes narratifs. Or, à l’occasion des fêtes de fin d’année, j’ai découvert une perle : un dictionnaire recensant tous les films de genre produits jusqu’à maintenant. Voici une lecture que je recommande chaleureusement ! Pourquoi ? Parce qu’elle met en relief la nécessité première de toute production littéraire ou cinématographique : accrocher le lecteur / spectateur !
Jean-Pierre Andrevon vient de commettre un ouvrage très étonnant et lui-même fantastique sur le film de genre. Ce pavé ahurissant qui pèse plus d’un kilo, comprend plus de 1090 pages, 4000 notices, 2300 images… Bref, une fresque parue sous le titre 100 ans et plus de cinéma fantastique et de science-fiction. Avec Jean-Pierre Fontana (critique et anthologiste), Pierre Gires (historien du cinéma), François Cau (journaliste et cinéphile), Sébastien Socias (critique de cinéma) et Bernard Médioni (journaliste), Adrevon propose un ouvrage unique en son genre qui recense tout ce que le cinéma a pu produire en films de genre. Mais il ne s’agit pas que de brèves notices cinématographiques : chaque œuvre, connue ou non, est mise en perspective et intégrée dans l’histoire pour ce qu’elle a su apporter ou non. Ainsi, ce gros dictionnaire se lit comme un livre de chevet, donnant quantité d’idées, de références, de plaisir aussi, en réussissant le tour de force de ne jamais pontifier ni se prendre au sérieux.
Bref, cet ouvrage que je recommande chaleureusement, est une véritable réussite. Plus loin, il permet aussi de se pencher sans tabou sur l’histoire de notre temps, à travers des productions qui sont souvent beaucoup moins anodines qu’elles y paraissent de prime abord.