Certains passionnés d’écriture arrivent un beau jour au point de rupture. Ayant travaillé de manière acharnée sur un manuscrit qu’ils considèrent achevé, ils décident qu’ils sont mûrs pour l’édition. Hélas, après avoir envoyé un manuscrit à une dizaine d’éditeurs – souvent de manière intuitive, voire naïve car ceci réclame une vraie méthode en même temps qu’un manuscrit réellement achevé – ils essuient autant de refus. De guerre lasse, ils décident de franchir le pas de l’édition à compte d’auteur. Et là, les ennuis commencent…
Le principe de l’édition à compte d’auteur consiste pour un auteur à faire appel à un support d’édition ne prenant en charge que l’aspect technique de l’impression, de la fabrication et de la diffusion. Pour qu’il n’y ait ici aucune ambiguïté, l’éditeur à compte d’auteur n’assure pas de relecture du manuscrit. Se bornant à être prestataire technique, il ne prend financièrement en charge ni les frais d’impression, ni les frais de diffusion. Il laisse l’auteur gérer seul, en toute connaissance de cause, la partie éditoriale de son œuvre. En d’autres termes, l’éditeur à compte d’auteur ne prend en charge aucune dimension concernant le contenu, ni la valeur du produit. Il ne prend donc aucun risque, puisqu’il les délègue à l’auteur. Il se rémunère sur les prestations techniques, et sur une part des ventes éventuelles.
Plus précisément, le terme anglosaxon désignant le compte d’auteur, de vanity press, est éclairant. Un auteur peut être prêt à tout pour être publié, peut-être parfois par vanité. Dès lors, il n’y a aucun filtre de qualité du texte ici. Plus ennuyeux, un éditeur doit, au cœur de son métier, faire du conseil. Comme c’est lui qui prend tous les risques, il a tout intérêt à ce que l’auteur lui présente un produit parachevé. Il est compétent pour orienter ce métier de l’écrivain, conseiller, faire retravailler, réécrire, bref, donner toutes les chances à l’auteur de réussir sa publication. Dans le système à compte d’auteur, cet aspect qualitatif fondamental n’existe pas du tout. Ainsi, un éditeur à compte d’auteur peut publier n’importe quoi de la part de n’importe qui – ce qui n’est pas toujours le cas. D’autre part, la force d’un éditeur traditionnel, dit à compte d’éditeur, est de profiter de réseaux de distribution et de communication aguerris. Ceci provient de l’exigence qualitative des manuscrits acceptés à la publication. Comme ce n’est pas le cas chez les éditeurs à compte d’auteur et comme les moyens financiers de l’auteur sont souvent limités, l’édition risque non seulement d’être confidentielle au nombre d’exemplaires, mais aussi de subir une diffusion tout aussi limitée. Bref : l’auteur risque de payer très cher une édition qui ne se vendra pas.
En France, le droit de la propriété intellectuelle est très protecteur pour les auteurs. Par exemple, la propriété d’un texte est imprescriptible car c’est un droit moral. En d’autres termes, personne ne peut s’arroger la propriété d’un texte qu’il n’a pas produit, et ce dans tous les cas de figure. Un éditeur n’achète pas un texte, mais ses droits dérivés, à savoir les droits de diffusion et d’exclusivité de cette diffusion, et ce pour une durée limitée. Tout contrat allant au-delà renferme des clauses abusives. Ainsi, aucun éditeur honnête ne peut se prévaloir de la propriété d’un texte qu’il n’a pas écrit. Un contrat éditorial en bonne et due forme ne cherche jamais à acquérir des droits abusifs sur le dos de l’auteur : celui-ci reste entier propriétaire de son texte et reçoit les droits d’auteur dans tous les cas. Ceci ne peut être cédé par contrat.
Dans la pratique, les éditeurs à compte d’auteur promettent souvent des choses mirifiques qui ne seront pas tenues.
Une étude de 60 millions de consommateurs sur ce sujet montre qu’une prestation moyenne, pour éditer un ouvrage de 250 pages, coûte de 1600 à 4800€ à l’auteur, sans garantie de succès. N’oublions pas que le texte n’a pas été relu, et que nul ne communiquera sur son existence, dans un monde où à chaque rentrée littéraire (deux fois par an), 30.000 nouveaux titres seront proposés au lecteur.
Autre fait scandaleux : puisque l’éditeur à compte d’auteur ne prend en charge aucun risque éditorial alors que ceci est la raison d’être du métier, l’auteur va être rétribué sur une certaine partie du tirage, de 20% en moyenne, ce qui est relativement bas. Mais après un certain seuil, tous les invendus devront être rachetés par l’auteur à des tarifs très abusivement dits préférentiels. Il y a ici de quoi ruiner un auteur qui gagne une vie modeste, puisque cette clause est souvent contractuelle et exprimée de manière obscure.
Par rapport à la mise de départ, déjà très élevée, il n’y a quasiment aucune chance pour qu’une édition à compte d’auteur soit rentable pour l’auteur. Pire, il a très peu de chances de se faire rembourser par ses droits d’auteur.
D’autant que ses livres édités n’iront jamais dans les rayons d’une librairie. Les moyens de diffusion engagés par les éditions traditionnelles et les risques pris par les libraires en proposant des ouvrages à la vente, font que les éditions à compte d’auteur n’ont pratiquement aucune chance d’être proposées à la vente directe.
Dès lors : aucune diffusion, aucune promotion ni communication, aucune relecture ni aucun conseil éditorial assortis d’un coût important d’engagement pour l’auteur, d’une rétribution médiocre en droits d’auteur (sur des livres invisibles par le public) et parfois d’une obligation à racheter les invendus, font de l’édition à droit d’auteur une véritable épreuve qui rendra l’auteur très très seul et probablement dégoûté à vie de l’écriture.
Pour vraiment juger de la teneur d’un contrat éditorial, il existe en gros trois voies possibles.
La première, adressez vos manuscrits à des maisons d’édition ayant pignon sur rue qui se revendiquent ouvertement comme des maisons à compte d’éditeur. Celles-ci pourront refuser votre manuscrit sans rendre compte des détail du refus, mais du moins seront-elles honnêtes dans leur refus. Il est de votre responsabilité d’auteur que de leur présenter un manuscrit parfait dans la langue, et correspondant à la ligne éditoriale recherchée. Au pire, demandez rendez-vous avec l’éditeur pour parler de votre manuscrit. Ceci est possible, mais avec des petites maisons. Mais soyez certain que le contrat que ce type de maison vous proposera sera sans doute en dessous de tout soupçon. Car soyez certain d’une chose : un contrat à compte d’auteur n’est pas un contrat d’édition, mais un simple contrat commercial.
La seconde, lisez attentivement le guide SNAC sur les contrats d’édition visant à protéger les auteurs des pratiques abusives.
La troisième, faites appel à un coach éditorial qui saura vous orienter, vous guider et qui, même parfois, présentera votre manuscrit pour vous à un éditeur de confiance s’il exerce l’activité d’agent littéraire. Mais ne vous adressez pas à n’importe qui pour ce faire, choisissez quelqu’un de confiance et d’expérience.
Dans tous les cas de figures, il vaut mieux être patient et retravailler son manuscrit avec un bon conseil extérieur et qualifié, plutôt que se lancer à corps perdu dans l’illusion d’une ‘édition’ qui vous écœurera à vie de cette chose merveilleuse et essentielle qu’est l’écriture. Et si vous êtes vraiment désabusé, pensez à l’auto-édition ! (article à venir).
(c) Photo Boris Foucaud