On le sait, PluMe aime bien les films de genre. L’un d’eux est emblématique de ce qui peut tenir le spectateur en haleine jusqu’au bout avec une remarquable économie de moyens. Financiers, certes, mais même narratifs. Il s’agit de Paranormal Activity. Ce film est très original à plus d’un titre. Mais surtout, il possède une narration exemplaire en regard de ses objectifs. Nous allons voir pourquoi…
Paranormal Activity est un film paru aux USA en octobre 2009. L’argument : un couple moyen de Californiens tranquillement installé chez lui est en proie à quelques phénomènes étranges, discrets au départ, puis de pire en pire au fur et à mesure que le temps passe. Afin de comprendre ce qui se passe et d’accumuler des preuves, Micah décide d’acheter une caméra vidéo et de filmer 24h/24 sa vie quotidienne et celle de son amie Katie. Ce sont ces images que le spectateur découvre.
Paranormal Activity : un paradoxe ambigu entre objectif et subjectif
Caméra à l’épaule, cadrage approximatif, lumière souvent faible, l’image possède ici un poids très important. Les scènes de la vie quotidienne sont rendues dans leur aspect clinique comme si elles étaient filmées au fur et à mesure par un simple amateur. En début de film, pas de générique. Un panneau informatif avec des caractères Courrier (comme écrits à la machine à écrire) remercie la police de San Diego. Chaque nuit, un panneau informatif apparaît avec le numéro de la nuit depuis le début du reportage, la date et, en bas, l’heure qui défile en forme de time-code de la caméra. Le but de cette mise en scène est de placer le spectateur de plain-pied dans l’univers du photo-reportage ou du documentaire amateur. Ce qui est filmé est réel. Se passe dans le réel. Et ne triche pas. Tout est filmé en spontané, en direct, sans montage, sans artifice, dans toute la crudité du quotidien.
Qui filme ? Ce sont les deux habitants de la maison, et Micah à 95% du temps. Dans les autres cas, souvent la nuit, la caméra est posée sur un trépied statique. Cette méthode de captation n’appelle pas les rushes, les coupures, les montages : on est dans le brut, voire la brutalité. L’approximation du cadrage va dans le même sens. On montre du réel. Mais paradoxalement, on est aussi dans de la pure caméra subjective. On vit les événements en même temps qu’ils se produisent, on est immergé dans la scène, le spectateur est témoin. Micah est lui-même dans la scène, il la voit et agit dedans au fur et à mesure qu’elle se produit, tout en restant lui-même un témoin. Il subit le tout avec distance voire distanciation, ne dramatisant jamais, essayant de comprendre, tournant même les choses à la dérision ou à la provocation.
Paranormal Activity : une immersion dans la scène extrêmement étudiée malgré les apparences
Parce que Micah est dans la scène tout en étant hors de la scène, son regard immerge le spectateur dans son propre prisme. Ainsi, tout ce qui est vécu par Micah est vécu par le spectateur. En écriture, il s’agit d’une narration à focalisation interne intradiégétique, à savoir : c’est un narrateur qui dit je qui raconte l’histoire au moment où elle se produit, en immersion, et il ne connaît rien de plus du monde que les autres personnages. En d’autres termes, le narrateur subit l’histoire comme le spectateur et les autres personnages : en l’occurrence, il ne sait rien du futur et n’a aucune analyse globale et objective du monde. Ceci permet de laisser des zones d’ombre et de l’incertitude pour la raison, ce qui est ici nécessaire et fondamental.
La caméra a un avantage : son cadre de vision est restreint. L’immersion proposée, visant le réalisme, est donc malgré tout très partielle. Ce qui compte dans Paranormal Activity est très souvent hors champ. Ce qui se passe hors du champ de vision de la caméra (alors que l’oreille, elle, entend à 360°), ainsi que dans les zones d’ombre visuelles générées par une lumière approximative ou dans les zones de flou engendrées par les réglages de focale, est toujours mis en valeur par l’ambiance sonore. Il existe dès lors un décalage cultivé entre l’image, lacunaire et partielle, et l’action qui dépasse toujours la caméra. C’est cette zone de hors-champ qui donne toute la valeur à l’action.
Ce principe de narration est relayé par la scansion du temps très soignée dans Paranormal Activity. C’est l’alternance jour-nuit qui rythme le film. On a l’impression d’assister au monde en temps réel, alors que l’action dure un mois-et-demi et que le film, lui, ne dure qu’une heure vingt. Là encore, cette scansion du temps trouve des racines dans une recherche de réalisme. Pour autant, ne sont montrés que des moments servant à quelque chose. On n’assiste pas aux scènes inutiles (repas, WC, toilette, sexe…) sauf quand elles ont un sens. Ainsi, l’aspect brut de l’image et du montage offrant un temps linéaire n’est qu’une apparence, elle aussi patiemment cultivée (avec des cuts de montage qui réifient ce principe). Mais le montage est en réalité un ressort fondamental de cette narration, et il est travaillé avec un soin extrême. Le temps montré n’est pas du tout linéaire, il est rythmé et donc totalement interprété.
Une narration scandée en progression vers l’incertitude
L’objectif de l’alternance jour/nuit est d’opposer deux univers. L’univers diurne est celui d’une quotidienneté banale, sans aucune aspérité, comme pour la vie conformiste de la plupart des citoyens californiens des classes moyennes.
L’univers nocturne est celui où les événements paranormaux surgissent. La nuit, en anthropologie de l’imaginaire, est un amplificateur. C’est le temps où les symboles changent de régime, où les significations cachées deviennent manifestes. Dans Paranormal Activity, c’est le temps où l’entité démoniaque agit, et où le surnaturel s’empare de la raison. Et c’est naturellement le moment où la lumière est la plus difficile à filmer, là où les zones d’ombre sont les plus intenses. Ce processus appelle un grand nombre d’archétypes pour le spectateur, conscients et inconscients. Ceci amplifie les effets de sens et l’angoisse.
Cette alternance permet aussi d’établir une progression dans les faits. La première nuit, un bruit. La seconde, une porte bouge. La troisième, un cauchemar. Au fur et à mesure, l’entité se rapproche des habitants de la maison. Ceci d’une manière inéluctable. Il y a progression dans l’horreur, mais qui n’est objectivement que suggérée. Car jusqu’à la fin du film, il ne se passe pratiquement rien de palpable : on est dans l’ordre du symbolique, avec un viol progressif de l’intimité jusqu’à l’investissement d’une âme par une instance inconnue et tierce. Ainsi, la narration tient parfaitement les promesses d’une dialectique du dedans et du dehors. Ici, le macrocosme devient microcosme et inversement : l’intérieur de la maison, l’intériorité des personnages, sont progressivement violés. Et après tout, ceci est normal : le premier viol est celui issu du voyeurisme du spectateur dans l’intimité, à travers l’œil de la caméra perpétuelle !…
Comme chaque nuit il ne se passe pratiquement rien, ceci crée une attente chez le spectateur. Cette attente doit être patiente, car peu nombreux sont les événements. Surtout, n’étant pas naturels, ils sont impossibles à prévoir :on ne sait pas si et quand ils auront lieu.
Paranormal Activity : la tension narrative au cœur de la peur
Dans le même ordre d’idées et suivant les mêmes objectifs, les plans fixes amènent une tension insupportable. L’attente, toujours, met le spectateur dans une appréhension complexe d’un temps toujours suspendu, un temps paradoxal qui dépasse la scansion jours/nuits.
A l’instar de ce que vivent les habitants de la maison, on attend, on attend, et toujours un détail infime finit par répondre à cette attente. Et comme le temps passe, ces détails deviennent plus nombreux, plus pervers, plus inquiétants. Jusqu’à ce qu’un événement ait enfin lieu pendant le jour, et la scansion entière du film est déréglée. On se prend alors à attendre la suite seconde après seconde, jour ou nuit, ce qui génère de l’angoisse pour le spectateur et de la peur pour les personnages. Le repos n’existe plus, tout comme l’intimité. D’ailleurs, Katie, celle qui est attaquée par le démon, finit par ne plus du tout dormir : la nuit n’est plus nécessaire, toutes les valeurs sont désormais inversées qu’elles soient nocturnes ou diurnes. Plus cette possession est intériorisée par Katie, plus Micah se fait extérieur à la scène, renforçant son œil de témoin « objectif », ce qui rend l’histoire de plus en plus réaliste – ce qui est le but recherché, en toute perversité. Le fossé entre Katie et Micah se creuse, jusqu’à l’issue fatale qui est dans cette optique parfaitement logique.
L’attente est donc au centre de la narration de Paranormal Activity. On ne montre pratiquement rien, l’ouverture d’une porte devient un événement à elle toute seule. La clef de cette histoire est donc dans la progression : quel va être le seuil de rupture ? C’est cette attente de rupture qui tient toute l’histoire jusqu’au bout et qui laisse le spectateur-voyeur en haleine.
Il y a bien un événement déclencheur (des bruits bizarres dans une maison vide) et une quête (rechercher la vérité et retrouver une vie normale) mais y aura-t-il un élément de résolution ? Que pourra-t-il bien être ? Nul ne le sait, ni les personnages, ni les spectateurs. Jusqu’où le mal empirera-t-il ? Là encore, aucune réponse.
Cette attente d’un dénouement reculé le plus loin possible, crée la tension narrative du film, tout comme les plans fixes et la scansion du temps.
C’est donc bel et bien le dévoilement progressif du dénouement qui tient toute l’histoire de Paranormal Activity. Ce n’est pas un film d’horreur à proprement parler, c’est avant tout un film de suspens. Ou de suspension.
Ceci prouve que sans aucun moyen, pratiquement sans effets spéciaux, avec une histoire en apparence banale et rebattue, il est possible de créer une tension narrative extrême : tout tient sur une très grande maîtrise de la narration.
Tout ceci est évidemment transposable en écriture. Maîtrise du temps, du rythme, des séquences, des zones d’ombre et du dévoilement progressif sont finalement au cœur du métier même d’écrivain.
En savoir plus sur Paranormal Activity
- Mot du réalisateur, Oren Peli : « réaliser un film qui symbolise la tendance du cinéma de genre de la génération actuelle, tout comme on a dit qu’après la scène de la douche de Psychose, on ne pourrait plus jamais prendre de douche, ou qu’après Les Dents de la Mer ou Open Water en eaux profondes, on ne pourrait plus nager dans la mer, ou encore qu’après Le Projet Blair Witch on ne pourrait plus camper dans les bois. Je me suis dit qu’on ne pouvait plus dormir dans sa propre maison. Par conséquent, si j’arrive à faire en sorte que les gens aient peur de se retrouver chez eux, j’aurai réussi mon coup. Je veux infiltrer les thèmes horreur/fantastique au sein de chaque foyer et par conséquent développer une paranoïa à l’image de l’actrice principale. »
- Le tournage : il a eu lieu en sept jours seulement pour un budget irréel de $13500 chez le réalisateur lui-même ! L’acteur qui filme, MIcah Sloat, cadrait trop bien au début, et a eu pour consigne de filmer de la manière la plus brouillonne possible.
- Le film a rapporté 200 millions de dollars dans le monde, et a donné lieu, pour l’heure, à quatre autres Paranormal Activity hélas beaucoup moins réussis – non seulement car l’effet de surprise du premier opus n’y existe plus, mais aussi justement parce que leur narration est bien moins maîtrisée et donc d’autant plus prévisible.
- Le film a été primé à de nombreuses reprises en 2010.
- Paranormal Activity en DVD
Anatole France, écrivain de l’utopie
23 septembre 2024La sélection pour le prix Renaudot 2014
24 septembre 2024Paranormal Activity (film) : une narration démoniaque
On le sait, PluMe aime bien les films de genre. L’un d’eux est emblématique de ce qui peut tenir le spectateur en haleine jusqu’au bout avec une remarquable économie de moyens. Financiers, certes, mais même narratifs. Il s’agit de Paranormal Activity. Ce film est très original à plus d’un titre. Mais surtout, il possède une narration exemplaire en regard de ses objectifs. Nous allons voir pourquoi…
Paranormal Activity est un film paru aux USA en octobre 2009. L’argument : un couple moyen de Californiens tranquillement installé chez lui est en proie à quelques phénomènes étranges, discrets au départ, puis de pire en pire au fur et à mesure que le temps passe. Afin de comprendre ce qui se passe et d’accumuler des preuves, Micah décide d’acheter une caméra vidéo et de filmer 24h/24 sa vie quotidienne et celle de son amie Katie. Ce sont ces images que le spectateur découvre.
Paranormal Activity : un paradoxe ambigu entre objectif et subjectif
Caméra à l’épaule, cadrage approximatif, lumière souvent faible, l’image possède ici un poids très important. Les scènes de la vie quotidienne sont rendues dans leur aspect clinique comme si elles étaient filmées au fur et à mesure par un simple amateur. En début de film, pas de générique. Un panneau informatif avec des caractères Courrier (comme écrits à la machine à écrire) remercie la police de San Diego. Chaque nuit, un panneau informatif apparaît avec le numéro de la nuit depuis le début du reportage, la date et, en bas, l’heure qui défile en forme de time-code de la caméra. Le but de cette mise en scène est de placer le spectateur de plain-pied dans l’univers du photo-reportage ou du documentaire amateur. Ce qui est filmé est réel. Se passe dans le réel. Et ne triche pas. Tout est filmé en spontané, en direct, sans montage, sans artifice, dans toute la crudité du quotidien.
Qui filme ? Ce sont les deux habitants de la maison, et Micah à 95% du temps. Dans les autres cas, souvent la nuit, la caméra est posée sur un trépied statique. Cette méthode de captation n’appelle pas les rushes, les coupures, les montages : on est dans le brut, voire la brutalité. L’approximation du cadrage va dans le même sens. On montre du réel. Mais paradoxalement, on est aussi dans de la pure caméra subjective. On vit les événements en même temps qu’ils se produisent, on est immergé dans la scène, le spectateur est témoin. Micah est lui-même dans la scène, il la voit et agit dedans au fur et à mesure qu’elle se produit, tout en restant lui-même un témoin. Il subit le tout avec distance voire distanciation, ne dramatisant jamais, essayant de comprendre, tournant même les choses à la dérision ou à la provocation.
Paranormal Activity : une immersion dans la scène extrêmement étudiée malgré les apparences
Parce que Micah est dans la scène tout en étant hors de la scène, son regard immerge le spectateur dans son propre prisme. Ainsi, tout ce qui est vécu par Micah est vécu par le spectateur. En écriture, il s’agit d’une narration à focalisation interne intradiégétique, à savoir : c’est un narrateur qui dit je qui raconte l’histoire au moment où elle se produit, en immersion, et il ne connaît rien de plus du monde que les autres personnages. En d’autres termes, le narrateur subit l’histoire comme le spectateur et les autres personnages : en l’occurrence, il ne sait rien du futur et n’a aucune analyse globale et objective du monde. Ceci permet de laisser des zones d’ombre et de l’incertitude pour la raison, ce qui est ici nécessaire et fondamental.
La caméra a un avantage : son cadre de vision est restreint. L’immersion proposée, visant le réalisme, est donc malgré tout très partielle. Ce qui compte dans Paranormal Activity est très souvent hors champ. Ce qui se passe hors du champ de vision de la caméra (alors que l’oreille, elle, entend à 360°), ainsi que dans les zones d’ombre visuelles générées par une lumière approximative ou dans les zones de flou engendrées par les réglages de focale, est toujours mis en valeur par l’ambiance sonore. Il existe dès lors un décalage cultivé entre l’image, lacunaire et partielle, et l’action qui dépasse toujours la caméra. C’est cette zone de hors-champ qui donne toute la valeur à l’action.
Ce principe de narration est relayé par la scansion du temps très soignée dans Paranormal Activity. C’est l’alternance jour-nuit qui rythme le film. On a l’impression d’assister au monde en temps réel, alors que l’action dure un mois-et-demi et que le film, lui, ne dure qu’une heure vingt. Là encore, cette scansion du temps trouve des racines dans une recherche de réalisme. Pour autant, ne sont montrés que des moments servant à quelque chose. On n’assiste pas aux scènes inutiles (repas, WC, toilette, sexe…) sauf quand elles ont un sens. Ainsi, l’aspect brut de l’image et du montage offrant un temps linéaire n’est qu’une apparence, elle aussi patiemment cultivée (avec des cuts de montage qui réifient ce principe). Mais le montage est en réalité un ressort fondamental de cette narration, et il est travaillé avec un soin extrême. Le temps montré n’est pas du tout linéaire, il est rythmé et donc totalement interprété.
Une narration scandée en progression vers l’incertitude
L’objectif de l’alternance jour/nuit est d’opposer deux univers. L’univers diurne est celui d’une quotidienneté banale, sans aucune aspérité, comme pour la vie conformiste de la plupart des citoyens californiens des classes moyennes.
L’univers nocturne est celui où les événements paranormaux surgissent. La nuit, en anthropologie de l’imaginaire, est un amplificateur. C’est le temps où les symboles changent de régime, où les significations cachées deviennent manifestes. Dans Paranormal Activity, c’est le temps où l’entité démoniaque agit, et où le surnaturel s’empare de la raison. Et c’est naturellement le moment où la lumière est la plus difficile à filmer, là où les zones d’ombre sont les plus intenses. Ce processus appelle un grand nombre d’archétypes pour le spectateur, conscients et inconscients. Ceci amplifie les effets de sens et l’angoisse.
Cette alternance permet aussi d’établir une progression dans les faits. La première nuit, un bruit. La seconde, une porte bouge. La troisième, un cauchemar. Au fur et à mesure, l’entité se rapproche des habitants de la maison. Ceci d’une manière inéluctable. Il y a progression dans l’horreur, mais qui n’est objectivement que suggérée. Car jusqu’à la fin du film, il ne se passe pratiquement rien de palpable : on est dans l’ordre du symbolique, avec un viol progressif de l’intimité jusqu’à l’investissement d’une âme par une instance inconnue et tierce. Ainsi, la narration tient parfaitement les promesses d’une dialectique du dedans et du dehors. Ici, le macrocosme devient microcosme et inversement : l’intérieur de la maison, l’intériorité des personnages, sont progressivement violés. Et après tout, ceci est normal : le premier viol est celui issu du voyeurisme du spectateur dans l’intimité, à travers l’œil de la caméra perpétuelle !…
Comme chaque nuit il ne se passe pratiquement rien, ceci crée une attente chez le spectateur. Cette attente doit être patiente, car peu nombreux sont les événements. Surtout, n’étant pas naturels, ils sont impossibles à prévoir :on ne sait pas si et quand ils auront lieu.
Paranormal Activity : la tension narrative au cœur de la peur
Dans le même ordre d’idées et suivant les mêmes objectifs, les plans fixes amènent une tension insupportable. L’attente, toujours, met le spectateur dans une appréhension complexe d’un temps toujours suspendu, un temps paradoxal qui dépasse la scansion jours/nuits.
A l’instar de ce que vivent les habitants de la maison, on attend, on attend, et toujours un détail infime finit par répondre à cette attente. Et comme le temps passe, ces détails deviennent plus nombreux, plus pervers, plus inquiétants. Jusqu’à ce qu’un événement ait enfin lieu pendant le jour, et la scansion entière du film est déréglée. On se prend alors à attendre la suite seconde après seconde, jour ou nuit, ce qui génère de l’angoisse pour le spectateur et de la peur pour les personnages. Le repos n’existe plus, tout comme l’intimité. D’ailleurs, Katie, celle qui est attaquée par le démon, finit par ne plus du tout dormir : la nuit n’est plus nécessaire, toutes les valeurs sont désormais inversées qu’elles soient nocturnes ou diurnes. Plus cette possession est intériorisée par Katie, plus Micah se fait extérieur à la scène, renforçant son œil de témoin « objectif », ce qui rend l’histoire de plus en plus réaliste – ce qui est le but recherché, en toute perversité. Le fossé entre Katie et Micah se creuse, jusqu’à l’issue fatale qui est dans cette optique parfaitement logique.
L’attente est donc au centre de la narration de Paranormal Activity. On ne montre pratiquement rien, l’ouverture d’une porte devient un événement à elle toute seule. La clef de cette histoire est donc dans la progression : quel va être le seuil de rupture ? C’est cette attente de rupture qui tient toute l’histoire jusqu’au bout et qui laisse le spectateur-voyeur en haleine.
Il y a bien un événement déclencheur (des bruits bizarres dans une maison vide) et une quête (rechercher la vérité et retrouver une vie normale) mais y aura-t-il un élément de résolution ? Que pourra-t-il bien être ? Nul ne le sait, ni les personnages, ni les spectateurs. Jusqu’où le mal empirera-t-il ? Là encore, aucune réponse.
Cette attente d’un dénouement reculé le plus loin possible, crée la tension narrative du film, tout comme les plans fixes et la scansion du temps.
C’est donc bel et bien le dévoilement progressif du dénouement qui tient toute l’histoire de Paranormal Activity. Ce n’est pas un film d’horreur à proprement parler, c’est avant tout un film de suspens. Ou de suspension.
Ceci prouve que sans aucun moyen, pratiquement sans effets spéciaux, avec une histoire en apparence banale et rebattue, il est possible de créer une tension narrative extrême : tout tient sur une très grande maîtrise de la narration.
Tout ceci est évidemment transposable en écriture. Maîtrise du temps, du rythme, des séquences, des zones d’ombre et du dévoilement progressif sont finalement au cœur du métier même d’écrivain.
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Boris Foucaud