L’autobiographie date de l’antiquité. Déjà, Marc Aurèle usait du genre avec ses Pensées, tout comme Jules César avec sa Guerre des Gaule. Les auteurs chrétiens, tels Saint Augustin, s’arc-boutent sur l’autobiographie pour avouer leurs péchés. Mais aux siècles de la Renaissance, grâce à l’anthropocentrisme offert par l’humanisme, l’autobiographie prend ses lettres de noblesse sous la plume de Pascal ou de Saint-Simon notamment. Les Confessions de Rousseau inaugurent l’autobiographie moderne par un narrateur s’identifiant au héros et s’exprimant à la première personne tandis que le passé est intégré à un processus de récit. Les romantiques s’emparent de l’autobiographie au XIXe siècle pour en faire un genre majeur, comme Stendhal et sa fameuse Vie de Henri Brulard. Anatole France (La Vie en fleur) et Aragon y injectent ensuite la notion de mentir-vrai, intégrant l’inconscient et la quête de soi. Depuis, il faut bien constater que l’autobiographie a perdu de ses lettres de noblesse. Comment s’y prendre pour écrire la sienne ?
Intéresser le lecteur avec soi : une gageure de l’autobiographie
Le problème de l’autobiographie, c’est qu’elle est censée n’intéresser que soi. Pour autant, elle n’est pas un journal intime. Ce dernier n’est écrit que pour soi-même. Il est parfois publié pour des raisons de témoignages (Le Journal d’Anne Frank) et recèle dans ce cas un intérêt social et historique. Dans un journal intime, la ‘vérité’ est au centre du débat. C’est elle dont la substance prédomine, sans doute avant même la personne de l’auteur.
L’autobiographie ne porte pas les mêmes enjeux. Autant son objet est aussi transmettre un sens historique et social à travers une vie, autant son récit est narré et utilise les mêmes ressorts littéraires que le roman.
Comme telle, au risque de choquer, l’autobiographie est une oeuvre de fiction !
Le mentir-vrai ou l’art du témoignage
L’autobiographie souffre de nos jours d’un préjugé défavorable, car elle met en scène une littérature personnelle, qui ne concerne donc pas immédiatement le lecteur. Parler de soi est même exclusif, voire narcissique. Comment croire que l’histoire de sa vie est apte à repaître l’attente du lecteur ? Et comment croire que les personnes réelles, rencontrées dans la ‘vraie vie’, sont aussi intéressants que des personnages romanesques qui portent des fonctions narratives fortes ?
Toutefois, il serait sans doute naïf de croire que l’objet de l’autobiographie est de se rouler dans l’autosatisfaction et la complaisance. Si cela était le cas, plus personne n’en écrirait. Il existe certes dans l’autobiographie une quête introspective de soi. Mais à l’inverse du journal intime qui s’écrit à chaud, jour après jour comme des chroniques, l’autobiographie est une écriture a posteriori. On rebâtit son passé et on l’organise de sorte que sa narration soit cohérente. Et si elle est réussie, elle aura convaincu le lecteur en le tenant en haleine et en utilisant une tension narrative suffisante – celle-ci étant la condition sine qua non d’un récit efficace.
Un auteur autobiographique de bonne foi cherche souvent à porter témoignage sur le monde à partir d’une vision du monde. Il y a là un aspect moral et social du genre, hérité de ses premiers temps. Mais plus loin, raconter sa vie exige aujourd’hui de la mettre en scène. Et cette mise en scène est située au cœur d’un processus d’interprétation. C’est celui-ci qui donne son relief au texte, car en affirmant un point de vue, l’auteur ne justifie pas un vécu, mais revendique au contraire son droit à exposer un imaginaire, le sien. Et cet écart entre le réel et ce qui est raconté reste le suc de l’autobiographie.
La fiction de soi au service d’une vision du monde
Ainsi, il est possible de créer de fausses autobiographies. Robert Merle ne fait pas autre chose dans La Mort est mon métier, où il se place dans la peau d’un officier nazi qui raconte sa vie intime au sein des camps. Louis-Ferdinand Céline ne fait pas autre chose quand il narre Voyage au bout de la nuit : Bardamu, c’est une part de lui-même romancée, certes, mais finalement beaucoup plus exacte que si Céline s’était raconté dans une optique objective.
Car l’autobiographie se situe dans cette délicate frontière entre l’histoire (la petite rencontrant la grande) et la pure subjectivité mettant je en scène. Or, une autobiographie réussie est à la vérité ce que le Canada Dry est au Martini Dry. Anatole France, dans sa trilogie du Petit Pierre, de Pierre Nozière et de La Vie en fleur, ne raconte absolument pas sa vie telle qu’il l’a vécue. Aucun des éléments narrés n’ont eu lieu dans le réel. Et pourtant, le lecteur pénètre de plain-pied dans une enfance idéalisée, parfaite, et surtout qui défend des valeurs fondamentales pour l’auteur, celles du désir. Bref, il livre ici une vision du monde très précise qui finalement éclaire parfaitement le lecteur sur la personne intime de l’auteur. La vérité historique est tronquée, la vérité intime et essentielle est livrée et placée au centre du débat. Voici ce qu’Aragon appelait le mentir-vrai. Ce n’est pas pour rien que La Vie en fleur est le dernier roman de notre écrivain. Cette enfance décrite sur le tard porte une thèse et a vocation a expliciter une vision du monde plutôt qu’une vie.
Le témoignage autobiographique n’est donc pas une copie du réel, mais bien une retranscription. Au fond des choses, écrire une autobiographie est donc un exercice très proche de l’écriture d’un roman. Les deux sont œuvres de fiction. Les deux portent une vision du monde intime, celle de l’auteur. Et finalement, il n’est pas certain que l’un ou l’autre disent plus vrai ou plus faux. Car n’oublions pas que depuis les symbolistes, il n’y a plus de morale dans l’art et que, dès lors, le lecteur trouve son compte avant tout non pas dans ce qui est dit, mais bien dans l’honnêteté et la cohérence de la démarche imaginaire et créative portant ce qui est dit.
L’autobiographie se bornant à ne relater que des faits n’est donc pas de l’autobiographie, mais seulement des mémoires. Et l’enjeu reste donc de ne se tromper ni de lecteurs, ni d’objectif ! L’autobiographie est donc bien un genre romanesque à part entière, et ce sont ces codes qu’il faut adopter pour son écriture.
(c) Photo Boris Foucaud
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