La sélection pour le prix Goncourt 2014 vient de paraître. C’est l’occasion d’évoquer ce prix sans doute le plus célèbre de tous, toujours imité, mais jamais égalé, qui fait aujourd’hui partie intégrante de la machine éditoriale en France. Entre commerce, polémiques et propulseur de talents (souvent), le prix Goncourt n’a pas fini de faire couler de l’encre…
Le prix Goncourt : une histoire d’utilité publique
C’est en 1862 que les frères Goncourt, deux écrivains faisant partie de l’école naturaliste, comme Zola, décident qu’après leur mort, leurs biens nombreux seront vendus et placés pour financer une académie. Son objet sera de financer à vie dix auteurs à hauteur de 6000 francs or par an, leur permettant de vivre de leur plume. Par ailleurs, un prix annuel sera lancé, récompensant un auteur « du meilleur ouvrage d’imagination en prose, paru dans l’année », récompensé par 5000 francs or.
Les frères Goncourt ignorent que pour être reconnue d’utilité publique, l’académie doit placer sa fortune en obligations d’État qui ne rapportent hélas pratiquement rien, d’autant qu’entre 1900 et la crise de 1929, le franc est dévalué plusieurs fois. Les rêves de grandeur des Goncourt fondent donc comme neige au soleil, et les rentes à vie deviennent bientôt une douce chimère tandis que le prix Goncourt ne rapporte plus, en 1962, que 50 nouveaux francs à son lauréat (soit environ 15 de nos euros actuels).
Il reste qu’après de douloureuses péripéties juridiques familiales défendues par l’avocat Raymond Poincaré, l’académie est reconnue d’utilité publique par le gouvernement d’Émile Combes le 19 janvier 1903, et que le premier prix est décerné en décembre de cette même année à John Antoine Nau pour Force ennemie chez l’éditeur la Plume, un ouvrage bien tombé dans l’oubli comme on le voit.
En un peu plus d’un siècle, treize présidents (souvent prestigieux) se sont succédé à la tête de l’académie, allant du grand et magnifique Joris-Karl Huysmans à Bernard Pivot (ce qui en dit long sur l’érosion de la chose, tout de même…)
- Alphonse Daudet (1897)
- Joris-Karl Huysmans (1900-1907)
- Léon Hennique (1907-1912)
- Gustave Geffroy (1912-1926)
- J.-H. Rosny aîné (1926-1940)
- J.-H. Rosny jeune (1940-1945)
- Lucien Descaves (1945-1949)
- Colette (1949-1954)
- Roland Dorgelès (1954-1973)
- Hervé Bazin (1973-1996)
- François Nourissier (1996-2002)
- Edmonde Charles-Roux (2002-2014)
- Bernard Pivot (2014 —)
Historiquement, l’académie Goncourt se réunit le premier mardi de chaque mois (sauf en août) pour un déjeuner parisien, au restaurant Drouant, rue Gaillon, depuis 1920.
Le Goncourt : entre polémiques et coups éditoriaux
Le prix Goncourt reste le prix littéraire le plus prestigieux en France, car il garantit à son lauréat, outre un chèque de dix euros, une publication sans équivalent, véritablement stratosphérique, qui rapporte entre 6 et 8 millions d’euros à l’éditeur pour un tirage moyen se situant entre 200 000 et 500 000 exemplaires en moyenne (contre 8000 exemplaires en moyenne globale tous genres confondus). Autant dire, ainsi que le Goncourt porte un enjeu économique extrêmement fort.
Bien sûr, cela ne manque pas de générer de nombreuses polémiques, qui sont d’ailleurs connues car récurrentes, faisant partie des traditionnels marronniers de la presse en décembre. D’une part, le Goncourt passe à côté de nombreuses grandes œuvres qui auraient parfois mérité d’être reconnues à la place d’illustres inconnus qui sombrent bien vite dans les trappes de l’oubli ensuite. Apollinaire ou Colette ont eu l’honneur d’être recalés. Voyage au bout de la nuit de Céline a été évincé, en 1928, au profit d’un certain roman, Les Loups de Guy Mazeline, ouvrage aussi inconnu qu’insipide. Ce malheureux épisode est connu comme le scandale du Goncourt, ayant mis en évidence une entente entre le jury et l’éditeur (Gallimard pour ne pas le nommer, il y a aujourd’hui prescription).
Car effectivement, ce qui est reproché au Goncourt, c’est la collusion existant entre le jury et les maisons d’édition. On connaît bien cette expression de « GalliGraSeuil », désignant les trois maisons majeures d’édition en France, Gallimard, Grasset et Seuil, qui à une époque étaient réputées pour gagner le Goncourt à tour de rôle. Depuis 2008, une nouvelle règle interdit d’ailleurs aux membres du jury d’être salariés chez un éditeur, preuve qu’il y avait de l’entente dans l’air jusqu’à cette date… Ceci n’empêche pas le fait que le Goncourt possède un jury assez immuable, qui ne « tourne » pas — à l’inverse de très nombreux autres prix — ce qui offre également une moyenne d’âge très canonique aux jurés qui, depuis 2008, n’a plus le droit de voter au-delà de 80 ans : on devient ensuite membre honoraire de l’académie. Mais tout ceci ne favorise pas la bonne image du prix.
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Liste des proposés au Goncourt 2014
Pour autant, voici la liste des proposés au Goncourt 2014 dont le lauréat sera connu le 5 novembre prochain :
- Kamel Daoud, « Meursault, contre-enquête » (Actes Sud)
- Pauline Dreyfus, « Ce sont des choses qui arrivent » (Grasset)
- Clara Dupont-Monod, « Le roi disait que j’étais diable » (Grasset)
- Benoît Duteurtre, « L’Ordinateur du paradis » (Gallimard)
- David Foenkinos, « Charlotte » (Gallimard)
- Éric Reinhardt, « L’Amour et les Forêts » (Gallimard)
- Emmanuel Ruben, « La Ligne des glaces » (Rivages)
- Lydie Salvayre, « Pas pleurer » (Seuil)
Outre Kamel Daoud, aucun jeune romancier (comme Adrien Bosc ou Mathias Menegoz) ne figure dans cette liste qui, comme tous les ans, fera couler beaucoup d’encre. Et, dans le fond, c’est bien là l’ardent objectif…
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