Beaucoup rêvent d’écrire mais n’y arrivent pas. Certains n’osent pas commencer. D’autres ne parviennent pas à finir. Et quelques-uns même possèdent un manuscrit qu’ils ne se résolvent pas à présenter à des lecteurs, ne serait-ce qu’à leur proche entourage. Quels sont ces freins à l’écriture les plus communs, et comment les dépasser ? Voici quelques pistes…
La confiance en soi, le principal frein à l’écriture
Évidemment, tout acte créatif possède une part d’impudeur. Et parfois, se mettre à nu devant le regard de l’autre, lui qui est si prompt à juger, est trop difficile.
Et pourtant, c’est ce que l’on croit. Mais l’écriture n’est pas nécessairement un acte de vérité et de dévoilement. Écrire, c’est avant tout exprimer un point de vue et un imaginaire. Or, l’expression de ces choses est certes intime, puisque son propre point de vue, son propre imaginaire n’appartiennent qu’à soi. Pour autant, assumer sa vision du monde, c’est simplement exister. On ne peut pas s’excuser d’avoir un point de vue, puisque celui-ci est le propre de l’homme. L’écrire, c’est simplement une autre manière de le dire, aussi naturelle que le fait de parler à un autre.
Dès lors, le lecteur ne pénètre pas dans la sphère de votre intimité. Il pénètre dans votre regard, ce qui n’est pas la même chose. Or, il n’y a pas un regard qui vaille plus qu’un autre. Le vôtre n’est pas plus nul que celui de votre voisin. Bien sûr que certaines visions du monde sont immondes, mesquines, pédophiles, racistes, imbéciles. Bien sûr que d’autres sont belles, novatrices, humanistes, altruistes et utiles. Mais en art, depuis le siècle dernier, il n’y a plus véritablement de mission édifiante ou morale. L’écriture ne sert plus à prouver ni à démontrer qu’une pratique de vie est meilleure qu’une autre. Ainsi, le lecteur n’a plus non plus la mission de juger la vie d’un auteur à travers ses textes. C’est pourquoi lire Louis-Ferdinand Céline et aimer Voyage au bout de la nuit, une œuvre essentielle dans l’histoire de la littérature et reconnue comme telle, ne fait pas de vous un apprenti collaborateur. Le scandale dans la création, c’est permis, autorisé, et même, souvent, cela produit de nouveaux courants. Demandez à Huysmans, Baudelaire, Gustave Moreau, André Breton ou Guillaume Apollinaire ce qu’ils en pensent…
C’est pourquoi la confiance en soi doit être bien placée, dans l’acte d’écrire. Il faut savoir assumer sa vision du monde, qui nous constitue tout entier. Libre au lecteur de l’accepter, d’y adhérer, ou de la refuser. Comme dans la vraie vie. Le lecteur n’est pas un frein à l’écriture ! Au contraire, il fait partie intégrante du processus !
La peur de ne pas savoir écrire, le deuxième frein à l’écriture le plus fréquent
Le problème de l’écriture, c’est qu’il s’agit d’un processus sur le long terme. Autant peindre une toile prend un temps limité – et encore, pas toujours – ce qui permet au peintre un grand nombre d’essais sur un thème précis ; autant écrire un roman est un travail de longue haleine. Certains peintres aiment même à montrer leur toile en cours à leurs proches pour tenir compte de leur jugement et rectifier le tir en pleine production. Je ne sais pas comment cela est possible, de montrer un travail inachevé et d’en attendre un point de vue solide en retour. Mais cela se pratique. Pour le roman, c’est beaucoup plus compliqué. On est seul face à l’ouvrage. Et cette solitude peut effrayer, voire bloquer. Pourtant, la solitude n’est pas un frein à l’écriture, mais un atout.
Il faut savoir passer outre le regard des autres et accepter sa solitude comme un espace de liberté. Un écrivain, c’est un démiurge. C’est lui qui crée le monde fictif qu’il doit assumer autant que son point de vue. Il est le chef chez lui. Son univers, ses personnages, son intrigue, son récit lui appartiennent totalement, et en la matière, il n’y a aucune limite. L’auteur n’a donc aucunement à rendre compte sur son projet à qui que ce soit.
Par contre, ce qu’il doit ou ce qu’il devra au lecteur, c’est une bonne connaissance de son sujet. L’univers qu’il va développer doit être solide. Le cadre dans lequel il pratique également : un roman, c’est un ensemble de codes et de contraintes attendu par le lecteur. Ce dernier attend des choses du texte. Il souhaite trouver dans un roman ce qui constitue l’essence-même du roman : des personnages, une narration, du suspens, un sens, une vision du monde, une langue solide, et avant tout du plaisir de lire…
Il est donc de la mission de l’auteur que de connaître ces codes. Cette méconnaissance est sans doute le plus important frein à l’écriture.
Il y a deux raisons pour que l’auteur possède bien son métier : permettre au lecteur d’adhérer à son œuvre, ce qui n’est pas rien. Et s’appuyer sur ces codes pour avancer. Car ces contraintes ne sont pas des entraves, loin de là. Elles sont au contraire un cadre de travail qui aide l’auteur à structurer son point de vue et à mettre en place son intrigue.
Ainsi, un auteur qui sait écrire un roman ne se pose plus la question de savoir s’il est seul, si son projet tient la route, ou s’il ira au bout de la démarche. Comme il sait ce qu’il doit faire, comment il le doit tout en connaissant précisément son objectif, il avance nécessairement et peut aller au bout de son travail.
Ces codes d’écriture s’apprennent. Par la théorie, par la pratique. Comme pour la peinture, la sculpture, le yoga ou la natation. Ce sont des techniques, des méthodes. Rien d’inenvisageable, rien de rédhibitoire non plus. Pour beaucoup d’arts, ceci est admis : on apprend le piano, on apprend l’escalade, on apprend le graphisme. De même on apprend à écrire un roman.
C’est donc bien ici qu’être seul peut se révéler douloureux. Pour dépasser ce frein à l’écriture, une aide de qualité professionnelle – coaching, ateliers… – peut se montrer très utile. Comme l’artisan apprend auprès d’un maître, de même l’écrivain peut lui aussi profiter de l’expérience d’autres auteurs ou d’un coach. Le partage, en la matière, est toujours bénéfique. Il n’existe pas vraiment d’outils standards ou d’approche académique de référence, mais l’essentiel est bien de s’approprier les outils dont on a besoin. Comme lorsqu’on apprend le jazz ou la sculpture sur marbre.
Autre source d’apprentissage et d’envie essentielle, la lecture bien sûr. Mais pas celle habituellement mise en œuvre. Plutôt une lecture curieuse et technique, qui cherche à comprendre comment l’auteur s’y prend pour que le lecteur ressente telle ou telle chose. Qui cherche aussi à savoir pourquoi le récit est architecturé de telle ou telle manière, ce que ça apporte à la lecture. Comment le personnage a acquis une telle densité, un tel réalisme. Et à quoi sert ce personnage secondaire. Pourquoi cette description intervient ici, et celle-là là. Comment a été créé cette surprise, comment le héros a été dévoilé au fur et à mesure, etc.
Dépasser le frein à l’écriture : s’inscrire dans un processus d’écriture par étapes
On croit souvent à tort que l’acte d’écrire, c’est prendre son stylo et noircir des pages. De fait, très rares sont les écrivains à procéder de la sorte. Il existe préalablement un processus préparatoire destiné à structurer l’œuvre, à savoir ce qu’on va raconter, comment, pourquoi, à construire les personnages, la narration, le récit, le plan… Un travail de documentation est également souvent nécessaire pour s’approprier au mieux des époques, des lieux, des techniques, des univers professionnels ou imaginaires.
Le temps où l’écrivain prend enfin sa plume pour commencer à écrire l’œuvre arrive à la suite de ce processus de création. Donc, l’écrivain ne se lance pas dans le vide face à sa page blanche, comme le veut le mythe qui a la vie dure. Au contraire, lorsqu’il commence à s’engager dans la rédaction, il sait parfaitement où il va. Il ne perd pas son temps car il a consolidé son projet et ses objectifs. Il est donc rassuré sur ce qu’il fait et sait pourquoi et comment il le fait : il est motivé, déculpabilisé et se lance dans une écriture parfaitement assumée.
Il sait aussi qu’il ne parviendra pas à la perfection au premier jet, et qu’un patient travail de relecture l’attendra ensuite, similaire à un beau travail manuel de finition. Et s’il présente son œuvre à un éditeur, il s’attendra à profiter de conseils utiles mais qui remettront peut-être en cause une partie de son travail. Bref, l’écrivain aguerri a compris que Rome ne s’est pas faite en un jour et que l’écriture du roman prend du temps.
Tout cela fait partie intégrante de l’écriture.
On voit bien que le fond du problème n’est pas seulement l’idée de plaire ou de déplaire. Tout acte créatif est exposé, dans tous les sens du terme. Ce n’est pas un objectif, c’est un trait constitutif.
Dans un projet d’écriture, il s’agit plutôt avant tout de mener à bien un projet conforme à l’attente de l’auteur. Si ce seul objectif est atteint, alors l’œuvre est réussie. En principe, une œuvre réussie gagnera l’adhésion des lecteurs, car même si ceux-ci ne sont pas d’accord avec vous, peu importe : ils reconnaîtront simplement la qualité de votre texte, ce qui est finalement le plus important. Vous aurez dès lors répondu à l’attente légitime du lecteur.
En d’autres termes, ne cherchez pas à être parfait, seulement à rester vous-même. Tout le reste n’est que travail, trajet, apprentissage patient tout au long d’une vie, et surtout, surtout, plaisir !
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(c) photo Boris Foucaud
2 Comments
[…] on ne progresse pas en écriture à cause de certains freins. Ce sont ces freins qu’ils faut réussir à dépasser. La confiance instaurée en atelier est […]
[…] Cette anecdote montre que derrière l’apparente facilité d’un style, il y a énormément de travail. D’allers-retours entre le texte et l’écrivain. De corrections. Qu’un petit maillon de la page 75 peut rejaillir sur tout le manuscrit. Qu’un personnage ne naît pas en dix minutes. Qu’une narration n’est pas le fruit d’une inspiration, fût-elle divine. La page blanche ne devrait donc pas être un frein à l’écriture. […]