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C’est quoi, une nouvelle ?

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Paradoxalement, le genre de la nouvelle est très connu, célèbre pour tous les types de lecteur… mais il vit actuellement une certaine crise éditoriale. Les nouvelles se vendent difficilement et si elles provoquent une véritable sympathie de la part des auteurs qui débutent – elles sont censées plus faciles à manier que le roman – elles sont en définitive délaissées par le lectorat au profit justement du roman. Ceci est très emblématique, car historiquement, roman et nouvelle sont intimement liés. Et il est à croire que la prospérité de la nouvelle pourrait incarner un indice profond de celle du roman… Alors, la nouvelle, moribonde ou seulement en sommeil ?… Mais au fait, de quoi parle-t-on exactement ?!… 

« Une nouvelle, c’est court. » Voici la définition de base. Mais est-elle suffisante ? D’ailleurs, qu’est-ce qu’être court, pour un texte ?…

On y raconte une action imaginaire ou non, qui décrit ou dépeint des événements, des actions, des personnages, des passions, des mœurs… Oui, certes, mais c’est aussi le cas des romans, des pièces de théâtre, des contes…

Une nouvelle, c’est court…

Lorsqu’on essaie de décrire précisément ce qu’est une nouvelle, on se retrouve finalement souvent dans une impasse conceptuelle. Historiquement, on trouve des histoires courtes depuis toujours, et dans une forme écrite dès L’Odyssée d’Homère avec les épisodes de Circé, du Cyclope ou de la Nekuia. La Fontaine, lui, appelait certains textes courts indifféremment ‘contes’ ou ‘nouvelles’, même s’ils étaient écrits en vers. Ce n’est pas absurde, beaucoup de romans eux-mêmes sont écrits en vers (par exemple chez Chrétien de Troyes…)

Historiquement, donc, le récit court est prééminent. Les Grecs déjà distinguent l’apologie (άπόλογος) , le récit (διηγησις chez Platon), l’histoire (ιστορία chez Aristote), le mythe (μυθος chez Hérodote), ce qui a donné au Moyen-Âge les fables (fabula), les lais, les fabliaux, les contes… Le problème, c’est que tous ces genres semblent se chevaucher, et que la frontière de ce qui les définit est à chaque fois fort mince. Ainsi, contes et nouvelles historiques sont confondus au XVIIe siècle.

Le mot « Nouvelle » – qui est utilisé dans de nombreuses langues, « novela » en espagnol, « novella » (Новые) en russe, « nowela » en polonais, Novelle en allemand chez Goethe, etc. – s’impose spécifiquement avec Boccace et Cervantès, puis en France avec Marguerite de Navarre. On se rend compte alors que le trait commun qui relie tous ces textes courts, c’est qu’ils traitent en langue vulgaire de sujets contemporains. Et ceci est une piste fondamentale pour décrire réellement ce qu’est la nouvelle.

Gide prétendait que la nouvelle était conçue « pour être lue d’un coup, en une seule fois ». Mais une nouvelle de trois lignes est-elle encore une nouvelle ? Une nouvelle un peu longue devient-elle un petit roman ? Un roman un peu court devient-il une nouvelle ?

On a longtemps considéré que la nouvelle racontait non pas seulement une histoire, mais aussi l’Histoire. Ce serait la narration d’une histoire vraie ou vraisemblable, liée aux mœurs d’un temps. Oui, mais qu’advient-il alors des nouvelles qui s’ancrent dans le merveilleux ou le fantastique, de Poe à Buzzati, de Melville à Blixen ?

On pense aussi parfois que la nouvelle est caractérisée par l’impassibilité du narrateur. Vrai chez Mérimée, faux chez un très grand nombre d’auteurs comme Jouhandeau, Gogol ou Tchekhov…

Alors, une nouvelle, c’est quoi ?…

Définir la nouvelle pour et contre le roman

La nouvelle est difficile à définir, et comme toujours en littérature, pour approcher ce qu’elle est, et surtout ce qu’elle n’est pas, il est possible de la comparer avec ce à quoi elle ressemble le plus : le roman.

En France, au XVIIe siècle, le genre romanesque souffre d’une certaine volonté de faire de l’imaginaire le centre de toutes les préoccupations. Le genre du roman d’aventures anglais en est sans doute assez responsable. Dès lors, on tente avec toutes les outrances d’expurger le roman de tout ce qui ressemble à du réel, et on y injecte des pirates, de l’exotisme, de la fantaisie, et bientôt une belle dose de ridicule. La nouvelle tente ainsi, en réaction, de rétablir l’équilibre en injectant au contraire dans le récit du réalisme luttant contre l’égarement du roman.

Mais paradoxalement, c’est souvent en agglomérant plusieurs nouvelles entre elles que certains auteurs, notamment chinois, créent du roman réaliste (Histoire officieuse des lettrésLe Singe Pélerin, etc.) En France, c’est le cas avec La Princesse de Clèves ou La Princesse de Montpensier qui créent le roman dit d’analyse (psychologique et sociale avant l’heure). Il y a là un souci du vrai, et le récit est à la première personne. Au XVIIIe siècle, ceci donnera les fameux romans sous forme de mémoires ou d’autobiographies, comme Manon Lescaut ou Mémoires du comte de Gramont.

Car la nouvelle produit en effet, par agglutination, plusieurs types de romans inédits en Europe et qui contribueront à la prospérité du genre. Par exemple, les romans à tiroir, comme Gil Blas ou Le Diable boiteux, sont des romans où des nouvelles s’emboîtent les unes dans les autres. Dans les romans picaresques, les nouvelles s’intègrent dans le récit comme des épisodes à part entière, séparés de la narration. Diderot, dans Jacques le Fataliste, utilise ce procédé pour décrire l’affaire de Madame de la Pommeraye. Scarron utilise aussi ce procédé dans Le Roman comique.

La nouvelle renouvelle le genre du roman, genre à l’époque plutôt à bout de souffle. On conçoit donc bien, ainsi, que la nouvelle est à la racine de différents types de romans de mœurs ou d’analyse.

La nouvelle, un genre majeur du XIXe siècle

La nouvelle compose donc au XVIIe siècle un épisode narratif à part entière, qui peut être intégré dans une suite d’histoires. Au sein de cette suite, un récit qui va relier le tout peut même être absent. Un recueil de nouvelles n’est pas un roman, seulement une juxtaposition de textes. Il n’a pas besoin d’une narration liant le tout. Pour cette raison, aux XVIIe et XVIIIe siècles, la nouvelle va s’effacer devant le roman qui, lui, répond à une cohérence narrative forte qui va en faire sa renommée : il répond davantage aux besoins du temps, du côté des auteurs comme de celui des lecteurs.

Mais au XIXe siècle, la nouvelle va renaître de ses cendres. Ceci est sans doute lié à une forte vague d’individualisme immergée dans le romantisme. Les Allemands Goethe, Novalis, von Kleist se penchent en effet sur les problématiques de l’âme et de la destinée, et la nouvelle semble parfaite pour approfondir cette quête à la « fleur bleue » ou à son alter ego démoniaque de femme fatale. La nouvelle permet une certaine métaphysique par son format court et mettant le je au centre du récit. Elle répond particulièrement aux recherche littéraires du XIXe. Elle va ainsi se faire investir par le fantastique par la plume d’Hoffmann, ce qui va la renouveler. Le socle réaliste de la nouvelle sert alors à mettre en évidence une vision du monde mettant en scène, par contraste, du merveilleux récriminateur et subversif, de l’imaginaire. Des visions du monde. Comme chez Edgar Poe, Théophile Gautier ou Prosper Mérimée. La nouvelle est un outil d’expression fort du symbolisme ou du décadentisme. Sa forme reste libre et donc insaisissable, mais le fond est là : varié, complexe, mettant au centre un instant décisif dans toute une existence humaine. Concentrer une vision du monde en un minimum de mots, toucher le lecteur de plein fouet répond parfaitement au besoin profond de ces auteurs.

De plus, au milieu du XIXe siècle, la nouvelle est très soutenue par l’essor du journalisme. Ce genre est court, il s’insère avec profit dans les revues et les journaux. Il répond aux contraintes des méthodes de publication les plus évidentes du temps.

Les récits apparaissent en cycles, comme dans les romans-feuilletons, ou de manière isolée. Les romans s’émiettent en nouvelles, question d’audience et de facilité de publication. Ce ne sont plus les nouvelles qui créent le roman par agglomération, ce sont les romans qui créent les nouvelles par émiettement. Parfois, un fait divers, une impression personnelle deviennent une nouvelle immédiatement publiable.

Et le réalisme revient après les plumes renommées de Maupassant ou de Kipling. Mais la réalité est reconnue comme étant particulièrement tronquée, car subjective. La nouvelle suit ce mouvement relativiste typique du XIXe, montrant que de la réalité, nous ne possédons qu’un point de vue remettant en cause toute vérité. La nouvelle illustre parfaitement cette incertitude de la connaissance, où science et imaginaire se valent. Ceci prépare le terrain du XXe siècle littéraire, entre pessimisme et absurde.

La nouvelle : perpétuelle évolution, brièveté, tension

Pour autant, pendant ce XIXe siècle, il n’y a guère d’éléments communs qui permettent de définir formellement la nouvelle. Les décadents Barbey d’Aurevilly ou Villiers de l’Isle-Adam investissent dans le fantastique ou le non-sens, Meyer dans l’historique, Tourgueniev dans le psychologique, Tchekhov dans la tragédie… Et tandis qu’en Allemagne, le débat sur ce qu’est réellement la nouvelle fait rage, les auteurs comme Thomas Mann, Kafka, Joyce, Faulkner, Hemingway, Camus ou Borges, continuent de ramifier le genre, de le complexifier tout en se l’appropriant, ce qui ne cesse de brouiller les pistes…

Cette époque où jamais la nouvelle n’a été si indéfinissable est pourtant l’apogée du genre !…

Ainsi, peut-être la nouvelle pourrait-elle, à l’inverse de tous les autres genres littéraires conceptuellement très cadrés, n’être définie que par ce trait fort et spécifique : elle est seulement en perpétuelle évolution et n’a besoin d’être rien d’autre.

Certes elle concentre, par sa forme courte – non mesurable d’une manière universelle – un élément central qui structure tout le récit. Certes elle décrit un moment privilégié – ce qui n’exclut ni une grande durée narrative, ni une évolution des personnages. Mais elle reste souple, dense, en tension mais cohérente.

Brièveté et tension… Walter Pabst prétend que la nouvelle n’existe pas, « qu’il n’y a que des nouvelles ». Il est donc à craindre que la notion même de nouvelle reste à jamais floue. Aussi floue qu’universelle.

Peut-être bien qu’une nouvelle, ce n’est seulement qu’une histoire qu’on raconte bien…

En savoir plus : bibliographie sur le genre de la nouvelle

  • Définition Art. « Short Story », in J. T. Shipley, Dictionary of World Literature, New York, 1953
  • Art. « Novelette » in A. E. Scott, Current Literary Terms, Londres, 1967
  • Art. « Short Story », in W. Burto, A Dictionary of Literary Terms, Boston, 1960
  • E. Chabrun, « La Nouvelle et son identité », in L’Ingénu, pp. 29-34, 1979
  • Etiemble, « Deux Appositions à la problématique de la nouvelle », in Le Mythe d’Etiemble, pp. 315-318, Paris, 1979 
  • P. Béarn, « L’Art de la nouvelle », in La Passerelle, nos 2-7, 1970-1971
  • N. Bousier, Le Centre et la circonférence. Essai sur l’objet dans la nouvelle classique, Narr, Tübingen, 1983 
  • F. Goyet, La Nouvelle. 1870-1925, P.U.F., 1993 
  • M. Issacharoff, L’Espace et la nouvelle, Paris, 1976 
  • J. Lacroix dir., La Nouvelle en Europe, univ. Paul-Valéry, 1988 

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