Cet été, une étude intéressante est parue sur l’emploi du temps quotidien de grands auteurs littéraires, peintres, penseurs ou musiciens. Cette étude tord le cou à l’idée reçue selon laquelle le génie et l’inspiration dispensent de travail. Au contraire, on se rend bien compte que la plupart des grands auteurs ont plutôt le profil « bourreaux de travail » que « semaine de 4 heures » !… Pour autant, la confusion vient du fait que longtemps, le travail d’auteur a été considéré comme une sorte de loisir. Et cette idée reçue semble bien ancrée, encore aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif.
« _ Quel est votre métier ? Auteur ? Auteur, vraiment ? Ouah ! C’est très intéressant ! Mais sinon, quel est votre vrai métier ? » Eh bien oui, dans l’inconscient collectif, peu pensent que le métier d’écrivain est un vrai métier, qui demande du temps, qui donne des contraintes, qui exige un rythme de travail et de concentration soutenus.
Il est vrai qu’en France, peu d’auteurs vivent de leur art. Et c’est logique : se faire publier est complexe, et lorsque cela arrive, l’auteur n’est rétribué que sur le prix de vente de son livre au public. D’ailleurs, voici comment les choses sont, en moyenne, calculées pour un livre vendu 20,00 € :
Imaginons que notre auteur s’en tire très bien avec une vente de 3000 exemplaires, il gagnera donc entre 4800,00 € et 7200,00 €. 30 % des auteurs vendent moins de 1000 exemplaires par publication. Bien sûr, si l’auteur se nomme Dan Brown, il va être rétribué 4,00 € par exemplaire vendu, et il va en écouler 86 millions d’exemplaires dans le monde, toutes traductions comprises (chiffres de janvier 2010). Mais très peu nombreux sont les auteurs qui font fortune avec leur œuvre. Car très peu nombreux sont ceux qui publient plus d’un roman par an, et encore faut-il que leurs opus successifs soient tous publiés. Or, il est difficile de vivre avec moins de 8000,00 € pour une année entière (600,00 €/mois) ! Le chiffre habituellement connu, c’est que 2000 auteurs vivent de leur plume en France en 2014… En face, 2,4 millions de Français pensent posséder un manuscrit prêt à publier en France à la même date. Pour autant, on considère souvent les grands auteurs comme des génies tellement inspirés qu’ils écrivent naturellement, sans travail, d’un premier jet. Et que lorsqu’ils écrivent, ils s’amusent. Bref, ceci n’est pas un travail très sérieux…
Or, l’entreprise Citrix, spécialisée dans les logiciels de gestion du travail, s’est offert une étude vraiment intéressante pour mettre en avant sa plateforme de travail collaboratif Podio (brand content, quand tu nous tiens !…) L’étude s’est fondée sur l’emploi du temps de personnages célèbres comme Honoré de Balzac, John Milton, Voltaire, Sigmund Freud, Charles Darwin, Victor Hugo, Kant, ou encore Flaubert, Kafka ou Nabokov. Elle partage le temps d’une journée quotidienne entre sommeil (il faut bien vivre, pas vrai ?…), travail créatif, travail institutionnel, repas et loisirs, exercice physique et autres.
On voit bien que, selon les individus, le temps de sommeil est plus ou moins important. Certains sont des lève-tôt, d’autres des couche-tard — ce qui tord également le cou à l’idée reçue selon laquelle le poète maudit ne travaille que la nuit, dans une sorte d’ivresse perpétuelle, dormant le jour au ban de la société. Tout le monde n’est pas Charles Baudelaire ! 😉
Il ressort de cette étude des traits intéressants. D’une part, il n’y a pas de loi absolue concernant le modus operandi de nos auteurs. Chacun vit sa vie. Certains ont besoin de beaucoup de loisirs (Kant travaillait en fait fort peu, mais ce qu’on ne voit pas ici, c’est que toutes ses journées étaient identiques et il passait sa vie entre son antre et son café-restaurant favori où il se goinfrait dans une monotonie à faire dormir un cadavre). Voltaire était un travailleur acharné, ce qui ne l’a pas empêché de mourir à 83 ans ! Balzac était un homme décalé, mais lui aussi connaissait la douleur de la crampe de l’écrivain… même s’il adorait travailler dans son lit, faisant la dictée à son (ou sa) secrétaire. Flaubert également. Dickens faisait plus d’exercice que beaucoup d’autres, mais lui est décédé à 58 ans… Comme quoi… Quant à Victor Hugo, ses plages d’exercices étaient utilisées à prendre des bains froids. En effet, ses maladies de peau lui assombrissaient la vie, et expliquaient aussi sa grande barbe très fournie cachant la misère… Chacun de nos auteurs possède donc ses petites lubies particulières. Certains pensent qu’entre le génie et la folie, il n’y a qu’un pas. De nos jours, une étude réalisée par des universitaires de Genève sur le gène DARPP-32 montre qu’il existerait en effet un lien entre les deux. Dans tous les cas, il faut être un peu fou pour croire que l’on peut vivre de l’écriture… et totalement fou pour ne pas essayer ! 🙂
Est-ce que les auteurs travaillent ? (et est-ce qu’ils en vivent ?)