PluMe MasterMind atelier d'écriture
Une petite histoire du roman – épisode 1 : les ancêtres
5 août 2024
PluMe MasterMind atelier d'écriture
Une petite histoire du roman – épisode 3 : du romantisme à un genre majeur
7 août 2024

Une petite histoire du roman – épisode 2 : le roman moderne

PluMe MasterMind atelier d'écriture

Nous poursuivons notre petite histoire du roman. Aujourd’hui, nous allons évoquer la période de renouveau inscrite après la Renaissance à l’âge Classique, qui va nous mener jusqu’au début du XIXe siècle. C’est pendant ce laps de temps que s’élabore, en effet, le roman selon les codes du genre connu aujourd’hui. Cette élaboration n’est pas continue, mais fonctionne par à-coups. Et nous allons voir que ce ne sont pas seulement les écrivains qui font évoluer la donne, mais que le lecteur possède ici une place centrale dans le processus ! 🙂

Le XVIIe siècle foisonne de créations littéraires. Tout le monde connaît ce bon théâtre classique des Racine, Corneille et autres Molière. On sait que deux voies sont empruntées, l’interprétation des ressorts de la tragédie antique d’un côté, et la satire pure et dure de l’autre.

Le roman classique : du très subversif sous la mièvrerie

Mais ce qu’on sait moins, c’est que parallèlement, à la cour du Roi de France, le roman est en pleine ébullition. Ce courant, appelé courant baroque, se situe, dans ses thèmes préférés, lui aussi dans la réécriture du roman antique. Il faut en effet se souvenir que toute nouvelle manière d’écrire le roman se trouve pratiquement toujours immergée dans l’histoire du roman qui la précède.

Ainsi, si vu de l’extérieur on a l’impression qu’un nouveau courant révolutionne le genre du roman, c’est en fait plus complexe.

Un nouveau genre est toujours en opposition avec quelque chose d’existant, et se nourrit aussi d’autres courants, parfois fort anciens. Le roman baroque en est un bon exemple. Il y a très rarement une totale rupture.

Ainsi, sentiments, vaillance, réalisme et merveilleux se confrontent dans le roman du  XVIIe siècle, souvent pour mettre en scène de longues quêtes amoureuses. On reconnaît ici une manière de réécrire dans l’air du temps la fin’amor médiévale, tout en ayant englobé le roman matérialiste comme les influences du roman classique. La grande différence avec les romans précédents réside dans le monde mis en scène : la quête n’est plus dirigée vers l’exemplarité des valeurs morales, mais vers l’amour. Et même si ces romans nous paraissent souvent mièvres aujourd’hui, ils sont très subversifs pour l’époque. Car rechercher l’amour d’une femme, c’est nier l’amour de Dieu – et donc une certaine forme du pouvoir royaliste de l’époque, où le Roi incarne l’infaillibilité issue du droit divin. Si les romans ne vont pas toujours jusque là, ils aiment à remettre en cause l’ordre établi sous des allures souvent anodines voire mièvres.

Les premières études sur le roman

Les ouvrages les plus connus de ce courant sont sans conteste ceux des Scudéry ou de Madame de Lafayette. C’est d’ailleurs en préface à Zayde, de Madame de Lafayette, qu’un certain Pierre-Daniel Huet écrit le premier ouvrage théorique sur le roman, le Traité de l’origine du roman.

Ceci démontre que ce genre est effectivement digne d’intérêt dès 1670, puisque on se  penche sur son cas d’une manière systématique.

Les questions philosophiques soulevées par Huet sont complexes : pourquoi l’homme a-t-il besoin de développer de la fiction ? Comment le genre romanesque a-t-il pu unir le Sud et ses tragiques divinités, avec le Nord et ses invasions barbares successives ? Comment peut-il transcender ces différences et répondre à une soif commune d’exotisme imaginaire ?

Le roman galant et historique voit donc le jour à la deuxième partie du siècle. Il est très court et se nourrit non plus d’un passé mythique et imaginaire, mais d’un passé historique. Le ton de la narration, sérieux, invente celui du roman tel que nous le connaissons aujourd’hui. Un exemple de ce genre est La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette. Autant de nos jours la lecture de cette œuvre peut paraître pour le moins aride, autant la lire dans cette optique de rupture et de modernité en montre les richesses fondatrices.

Le roman, un genre populaire

Parallèlement, en Espagne, se perpétue le genre du roman picaresque dès le XVIe siècle.

Le ton en est ouvertement comique et raconte l’ascension sociale d’un homme pauvre mais astucieux qui transcende la fatalité sociale en devenant très riche grâce à son intelligence : il s’agit du Picaro, comme dans Tintin et les Picaros !

Ceci a l’air anodin, mais démontre au contraire que les hautes classes sociales fondées sur leurs origines et leurs héritages sont aussi accessibles à l’intelligence qui peut défoncer les barrières de la naissance. Ce type d’idées prépare, en France, la philosophie des Lumières et donc, de ce fait, la Révolution. Ceci confortera au fur et à mesure la mission récriminatrice du roman.

Ce type de roman très populaire sera repris dans toute l’Europe, et notamment en France par Scarron, Sorel ou Cyrano de Bergerac (qui deviendra un héros emblématique de Rostand, mais qui fut un auteur de chair et d’os ! )

Le XVIIIe siècle comme avènement du roman moderne

L’histoire de ce genre se densifie énormément en ce siècle des Lumières. D’abord, le roman s’européanise. Ensuite, il provoque un intense questionnement, et donc une forte littérature théorique sur le sujet.

C’est le roman anglais qui ouvre le bal. En effet, en Angleterre, la population est déjà fortement alphabétisée. Un lectorat assidu est donc demandeur, donne un sens à l’écriture du roman et à sa diffusion.

De Robinson Crusoë, roman d’aventures issu tout droit de la tradition picaresque, aux romans gothiques de Radcliff, Lewis ou Beckford, l’esprit du temps se diffuse aussi à la France et à la Prusse. Ainsi, différents courants anglais donnent naissance à des genres français.

Le roman de mœurs va influencer l’Abbé Prevost comme Marivaux. Le roman d’aventures Voltaire et ses fabuleux Candide ou Zadig. Le roman comique Diderot. Et du gothique vont être issus, outre les écrits de Sade, le préromantisme qui sera déterminant pour toute l’histoire littéraire française du siècle suivant.

Ce roman étant devenu subversif par nature, car neuf et non plus tourné vers la mythologie gréco-latine, on l’accuse aussi de tous les maux. Il est dangereux, car il s’adresse au plus grand nombre. Il narre des passions qui n’ont rien d’édifiantes (cf. Le Moine de Lewis, avec sa Mathilde, première femme fatale de l’histoire littéraire. À lire absolument dans sa traduction d’Antonin Artaud. La femme fatale est l’un des mythes les plus utilisés dans le roman français, depuis le XIXe siècle jusqu’à maintenant !)

Boileau est un féroce critique du roman et il représente bien le courant conservateur, encore majoritaire en France au début du XVIIIe siècle.

Mais le genre a aussi ses défenseurs ! Après Huet, ce sont Lenglet, du Fresnoy ou Irailh, qui tentent de renforcer le roman en lui créant une codification surtout reconnue et acceptée des auteurs, des critiques et aussi des lecteurs.

La naissance des codes contemporains du roman

La lecture du roman de l’époque en arrive aux conclusions suivantes : le roman doit respecter un ton, une narration, une unité de temps/action. Il n’a pas à être vraisemblable, sachant que les écrits classiques ne le sont pas davantage. Le roman peut être utile s’il ne transgresse pas la loi, la morale et s’il respecte autant le roi que les personnes réelles (et donc s’il respecte aussi les personnes réelles…)

En France, les grands défenseurs du genre sont Bricaire de la Dixmerie et son Discours sur l’origine, les progrès & le genre des romans, et Sade avec ses Idées sur le roman. Selon ces auteurs, le roman français gagne ses lettres de noblesse par sa valeur d’exemplarité morale – même si Sade conçoit à ses début que le roman puisse aussi avoir d’autres vertus plus transgressives…

Diderot lui-même souligne que ce roman français moderne atteint une peinture des sentiments encore jamais égalée dans des œuvres de fiction.

La peinture des sentiments, nous y voilà… De la pure fiction d’humains idéaux et désincarnés, on est passé à des personnages qui, dans un univers de fiction, sont vraisemblables. Ils agissent, ils pensent, ils existent. Et le lecteur adore s’identifier à eux. Et pour que l’alchimie prenne, il faut que les sentiments dépeints – la psychologie n’existe pas encore, il faut attendre encore plus d’un siècle – soient précis, motivés. Ils donnent vie au personnage, et le sens du roman peut alors être particulièrement bien décrit par l’auteur, et donc vécu avec précision par le lecteur. On voit bien ici que le roman dépasse une simple peinture historique, de mœurs ou de quête. On se met à la place d’un héros immergé dans un univers sinon vraisemblable, du moins qui pose problème. Et on ne le suit plus : on devient lui.

L’esthétique du roman pour un genre majeur

Au fur et à mesure, on s’attache à démontrer qu’outre la valeur moralisante du roman, c’est sa valeur technique qui en fait un genre majeur.

Marmontel, notamment, évoque, peut-être le premier, l’esthétique propre au genre.

Le roman devient un genre à part entière parce qu’il réclame une technique esthétique différente de tous les autres genres. Ceci paraît anodin, mais au contraire, c’est fondamental : le roman possède désormais des personnages, une narration, une action qui lui sont propres et qui conforment une manière d’écrire particulière. Une manière également attendue par les lecteurs. C’est donc au XVIIIe siècle que le roman devient un genre majeur, parce que c’est en ce siècle que sont codifiées ses techniques d’écriture qui sont aussi reconnues par les lecteurs.

De fait, naissent en cette fin de siècle les genres des romans épistolaires comme Les  Lettres persanes de Montesquieu, des romans libertins comme Les Liaisons dangereuses de Laclos ou la sulfureuse Justine de Sade, et les romans philosophiques chers à Voltaire, Diderot ou Rousseau.

Le genre est déjà codifié d’une manière très moderne : découpage en chapitres, narration au passé, narrateur omniscient, utilisation de descriptions et de personnages sont maintenant monnaie courante.

Ce sont tous ces traits qui forment le roman, y compris le roman d’aujourd’hui.

En savoir plus

Le roman baroque (XVIIe siècle)

  • Honoré d’Urfé, L’Astrée, 1607-1626.
  • Madame de Scudérie, Clélie, 1654-1660.
  • Pierre-Daniel Huet, Traité de l’origine du roman, 1670.
  • Madame de La Fayette, Zayde, 1670.

Le roman galant et historique (XVIIe siècle)

  • César de Saint-Réal, Dom Carlos, 1672.
  • Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves, 1678.

Le roman picaresque (XVIIe siècle)

  • Charles Sorel, Le Palais d’Angélie, 1622.
  • Paul Scarron, Typhon ou la gigantomachie, 1648.

Le roman français du XVIIIe siècle

  • Abbé Prévost, Manon Lescaut, 1731.
  • Pierre de Marivaux, Télémaque travesti, 1736.
  • Voltaire, Zadig, 1747.
  • Voltaire, Candide, 1759.
  • Denis Diderot, Jacques le fataliste et son maître, 1784.

Le roman épistolaire du XVIIIe siècle

  • Charles-Louis de Montesquieu, Les Lettres persanes, 1721.
  • Jean-Jacques Rousseau, La Nouvelle Héloïse, 1761.
  • Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, 1782.

Le roman libertin du XVIIIe siècle

  • Denis Diderot, Les Bijoux indiscrets, 1748.
  • Crébillon fils, Le Temple de Vénus, 1777.
  • Donatien de Sade, Justine ou les malheurs de la vertu, 1791.

Autres sources

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *