On dit toujours d’une situation étrange ou inextricable qu’elle est ‘kafkaïenne’. On sait tous que cette expression provient de l’auteur Pragois Franz Kafka, mais plus souvent on hésite sur le sens précis de ces mots. De fait, Kafka est un auteur qui fut très lu dans l’après-guerre jusque dans les années 70, à l’époque où le courant absurde, représenté en France notamment par Camus, Ionesco ou Beckett, faisait rage. Depuis, on lit moins ces œuvres. Il est donc temps de redécouvrir Le Procès…
Kafka (1889-1924) est un auteur absolument atypique. Si certains écrivains admettent le fait d’écrire comme un plaisir nécessaire et vital, Kafka y voit un acte opposé au plaisir. Il y met une intense souffrance, parlant même d’activité atroce demandant une ouverture totale du corps et de l’âme. Il prétendait en 1904, dans une lettre à son ami Oskar Pollak, qu’un livre doit être la hache qui fend la mer gelée en nous. Il ajoutait : Si un livre ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ?
Kafka : un auteur atypique
Autre particularité de notre auteur, contrairement à ce qui est prôné dans les ateliers PluMe, il écrivait sans plan, se laissant porter par ses personnages et ne sachant, au début de l’écriture, l’issue de ses œuvres. C’est une exception assez notable pour être soulignée !
Kafka ne laisse pas beaucoup de production derrière lui. La Métamorphose, Le Verdict sont ses nouvelles les plus connues. Ses travaux inachevés sont fort nombreux. Outre Le Procès, il laisse des fragments du Château ou du Soutier. De fait, il adressa un testament à son ami Max Brod, lui donnant consigne de détruire après sa mort tous ses manuscrits sans que ces derniers ne soient lus. Mais heureusement pour nous, Brod n’obéit pas à cette dernière volonté. De son vivant, Kafka avait toutefois eu le temps de brûler une partie de son œuvre…
C’est justement Brod qui fit publier les écrits de Kafka. Lorsque les nazi assaillirent Prague en 1939, il s’enfuit en Palestine en amenant avec lui tous les manuscrits, qui furent dès lors publiés progressivement – même inachevés, ce qui questionnera souvent la critique puisqu’il est avéré que certains textes furent travaillés a posteriori par Brod lui-même, comme Le Château.
Kafka : entre avant-garde et absurde
Alexandre Vialatte découvre ce roman en 1925 et entreprend de traduire cette œuvre en Français à partir de cette époque. Depuis, diverses recherches ont pu reconstituer la part de l’œuvre originale, et des éditions critiques sont parues assez tardivement (en 1983 pour certaines éditions majeures). Voir Le Projet Kafka – les œuvres de Kafka en allemand sur base des manuscrits.
Le Procès est, à mon sens, le roman majeur de Kafka. Il paraît en 1925 en allemand, et en 1933 en français. C’est un roman inachevé, dont Max Brod a éliminé quelques fragments ou chapitres lacunaires.
Il s’agit d’un roman mettant en scène un certain Joseph K. Celui-ci va être accusé et va devoir subir un procès. Il se dit innocent et de fait ne sait absolument pas de quoi il est accusé. La temporalité du roman est très oppressante, car justement, le temps y est figé. Pour autant, lors de la procédure et de différents témoignages, Joseph K. va devoir tout faire pour être acquitté.
Le Procès de Kafka : une œuvre intemporelle
On est là dans du symbole. Administration labyrinthique, procédurière, sourde et aveugle, existence d’un homme sans le moindre sens, monde oppressant et déshumanisé : on a dit de Kafka qu’il avait une vision anarchiste du monde, ou encore qu’il recherchait un sens métaphysique des choses qu’il ne parvenait pas à dévoiler. Certains y voient aussi une lecture marxiste de la société.
Toutefois, il semble surtout que ce soit le sentiment de l’absurde qui soit mis en avant. Aliénation, persécutions, non sens dépassent la fonction sociale de la faute. Cette faute, qui reste ici inconnue, pousse pourtant Joseph K. a rechercher le sens de sa vie : il s’agit bien d’une quête métaphysique.
Malgré la réalité oppressante de ce roman, il faut aussi saisir cet humour absurde qui transparaît partout. Humour noir, humour juif, humour cinglant. Et donc récrimination contre l’Allemagne qui chutera, quelques années plus tard, sous la folie bureaucrate et inhumaine du nazisme. Récrimination aussi contre la toute-puissance de la loi générale qui a, ici, bien du mal à s’appliquer à un humain en particulier : la loi est-elle compatible avec l’individu, surtout lorsqu’elle est immorale ?
En 1962, Orson Welles sort son film phare Le Procès, d’après Kafka. Le type même de film qu’il faut avoir vu…
Le Procès, c’est autant le témoin que l’empreinte d’un temps. Mais surtout, et c’est sans doute ce qui est le plus remarquable et dérangeant, c’est un roman (et un film) qui reste(nt) toujours à l’ordre du jour. Une œuvre très forte, très puissante, pleine d’enseignements et d’une immense clairvoyance !…
1 Comment
[…] influencé par La Métamorphose de Kafka, Gabriel fit paraître une nouvelle, La Troisième Résignation, dans El Espectador. En 1948, un […]