PluMe MasterMind atelier d'écriture
Notre monde actuel vu avec précision dès 1908 : l’Île des pingouins d’Anatole France
23 octobre 2024
PluMe MasterMind atelier d'écriture
Juste derrière moi de Nathalie Georges : un premier roman initiatique
25 octobre 2024

Le Consul de Salim Bachi : de la sainteté à l’oubli

PluMe MasterMind atelier d'écriture

Salim Bachi est un écrivain algérien vivant à Paris. Ayant poursuivi ses études de Lettres à la Sorbonne, il a obtenu le Goncourt du Premier roman en 2001. Reconnu comme un grand spécialiste de l’Algérie et de son histoire, Salim décortique les raisons qui peuvent pousser certains hommes à agir dans l’Histoire, que ce soit pour une idéologie terroriste (Tuez les tous, 2006) ou dans le cadre du fait religieux (Le Silence de Mahomet, 2008). Surtout, Salim Bachi défend une certaine idée de la littérature qui souhaite déplacer le lecteur de sa zone de confort intellectuelle afin de le pousser dans ses retranchement. En 2014, Salim Bachi publie chez Gallimard Le Consul, titre qui nous intéresse particulièrement aujourd’hui.

Aristides de Sousa Mendes, de la désobéissance civique à l’héroïsme

En juin 1940, c’est la débâcle. Aristides de Sousa Mendes est alors consul du Portugal à Bordeaux. Ce personnage est historique, il a bel et bien existé. Salazar dirige alors le Portugal de main de fer sous le dogme de l’État nouveau, représentant un régime autoritaire, conservateur, catholique et nationaliste. Durant la guerre, Salazar maintient une sorte de neutralité apparente tout en considérant la politique étrangère avec méfiance. Il considère que l’Europe défend rarement les intérêts du Portugal et ce pays est allié avec la Grande Bretagne. D’ailleurs, l’Allemagne nazie et l’Axe prévoient d’annexer le Portugal – qui possède encore beaucoup de colonies – et Salazar n’est pas dupe. Un pacte de neutralité dans le conflit est bientôt signé avec Franco (le Pacte Ibérique de 1939), ce qui bloquera les troupes allemandes en 1940 en les empêchant de traverser la péninsule ibérique.

Pour autant, Salazar donne des instructions explicites à ses ambassadeurs pour qu’ils limitent l’octroi de visas aux personnes souhaitant fuir la France.

C’est ici qu’intervient Aristides de Sousa Mendes : ce dernier décide de passer outre ces consignes (la « circulaire 14 », qui prétend que les sujets dont la citoyenneté est contestée ou en litige ne peuvent obtenir de visa : les apatrides, les Russes, les Juifs…) et va concéder au contraire un très grand nombre de visas, sauvant ainsi un grand nombre de personnes promises à la Shoah, jusqu’en 1942.

Il arrivera même à Aristides de distribuer des faux passeports. En 1940, c’est en sauvant notamment le rabin anversois Jaco Kruger qu’il comprend que ce sont tous les réfugiés juifs qu’il faut sauver. Il va dès lors tamponner les passeports à tour de bras, passant outre les avertissements de Lisbonne : « S’il me faut désobéir, je préfère que ce soit à un ordre des hommes plutôt qu’à un ordre de Dieu. »

Entre le 17 et le 20 juin 1940, Aristides délivre 657 visas. Ce 20 juin, l’ambassade britannique à Lisbonne informe le ministère des affaires étrangères que Sousa Mendes retarde délibérément la délivrance de visas aux citoyens britanniques dans le but de recevoir des frais supplémentaires. Salazar ordonne des mesures contre lui, mais le consul va poursuivre son activité à Bayonne dans le bureau d’un vice-consul médusé. Le 23 juin, Aristides est démis de ses fonctions par Salazar. Pour autant, il va poursuivre sa tâche en prenant la tête d’une colonne de réfugiés qu’il va faire passer à la frontière espagnole à Hendaye, usant de son prestige de consul, malgré la fermeture officielle de la frontière.

Aristides de Sousa Mendes, de la déchéance à la réhabilitation

De retour au Portugal, Aristides sera traduit devant le Conseil de discipline de Lisbonne, accusé de désobéissance, préméditation, récidive et cumul d’infractions. Le procès ne retiendra que la délivrance des visas non autorisés et la falsification de passeports, ainsi qu’un crime d’extorsion vis-à-vis de l’ambassade britannique. Mais le ministère de tutelle ne chargera pas Aristides, s’arrangeant pour ne pas le faire emprisonner. Il demandera la rétrogradation, mais Salazar appliquera une peine plus légère et Aristides obtiendra son salaire de consul jusqu’en 1954, date de sa mort.

Le Portugal sera toujours un pays neutre, mais dans les faits favorable aux alliés. Il autorisera plusieurs milliers de réfugiés à se rendre dans le port de Lisbonne pour quitter l’Europe. Les organisations juives américaines en feront leur base principale pour acheminer les réfugiés en Amérique du Nord ou du Sud.

Aristides, quant à lui, aura sauvé plus de 30 000 personnes, dont 10 000 de confession juive… Il aura sauvé quelques grandes célébrités du temps, dont Otto de Habsbourg fils de Charles Ier d’Autriche, Charlotte grande Duchesse de Luxembourg, Salvador Dali le peintre, ou même le Général Leclerc ou même certains membres de la famille Rothschild.

Notre consul ne sera réhabilité que tardivement. En 1966, le mémorial de Yad Vashem en Israël lui donnera le titre de « Juste parmi les nations ». En 1986, Aristides sera décoré à titre posthume par le président de la République portugaise Màrio Soares au grade d’Officier de l’Ordre de la Liberté, avec des excuses publiques à sa famille. Un buste sera inauguré à Bordeaux en 1994. La mémoire d’Aristides sera réhabilitée en 1995 à Lisbonne.

Salim Bachi, une vision forte d’Artistides de Sousa Mendes

Salim Bachi retrace, dans son roman en forme de confession, le destin exceptionnel de cet homme mystérieux et tourmenté, croyant épris de liberté et père de quatorze enfants.

Le 28 mars dernier, j’ai eu l’honneur de rencontrer Salim Bachi, qui a été interviewé en direct et en exclusivité lors de l’émission Lusitania de Radio Aligre FM par Joëlle Nascimento et Mathilde Parra.

Salim Bachi avec Mathilde Parra et Joëlle Nascimento à Radio Aligre FM, Paris 11, le 28 mars 2015

(c) Boris Foucaud – avec l’aimable permission de Salim Bachi, Mathilde Parra et Joëlle Nascimento

Il a évoqué son roman Le Consul à la lumière de l’actualité d’une manière passionnante, et je vous propose d’écouter ou de réécouter l’émission en suivant ce lien.

En savoir plus sur Salim Bachi

  • Le Chien d’Ulysse, roman, éditions Gallimard,2001. Prix de la Vocation / Goncourt du Premier roman / Bourse de la découverte Prince Pierre de Monaco.
  • La Kahéna, roman, éditions Gallimard, 2003. Prix Tropiques 2004.
  • Autoportrait avec Grenade, récit, éditions du Rocher, 2005.
  • Tuez-les tous, roman, éditions Gallimard, 2006.
  • Les douze contes de minuit, nouvelles, éditions Gallimard, 2006.
  • Le silence de Mahomet, roman, éditions Gallimard, 2008.
  • Amours et aventures de Sindbad le Marin, roman, éditions Gallimard, 2010.
  • Moi, Khaled Kelkal, roman, éditions Grasset, 2012.
  • Le dernier été d’un jeune homme, roman, éditions Flammarion, 2013.
  • Le Consul, roman, éditions Gallimard, 2014.
  • « Les 100 personnalités de la diaspora africaine : Salim Bachi », in Jeune Afrique, no 2536-2537, du 16 au 29 août 2009, p. 47

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *